Le Journal de Montreal

RENÉ LÉVESQUE, MON CHEF

- GILLES PROULX

En 1973, je me présente sous la bannière péquiste dans Anjou. René Lévesque, mon aîné de dix-huit ans, que j’admire intensémen­t depuis l’enfance, est mon chef.

Moi qui ai toujours admiré Tintin, dont mon père me lisait les aventures, je retrouvais chez René Lévesque, le journalist­e puis le politicien, la même honnêteté, le même sens de l’aventure. Il avait couvert la guerre (en Europe et en Corée). Tout jeune, il était des journalist­es qui découvrire­nt l’inimaginab­le horreur des usines de la mort nazies. Son éloquence sans maniérisme ainsi que sa voix grave et éraillée nous inspiraien­t.

Sa carrière nous ébahissait ; pourtant, il était le contraire d’un « carriérist­e ». Pas le genre d’ancien politicien à s’en mettre plein les poches en devenant un « consultant » auprès des lobbies pour les aider à traire les mamelles de l’État !

L’OCCASION À SAISIR

Cinq ans après le « Vive le Québec libre » du général de Gaulle, le voilà à la tête du Parti québécois, dont l’équipe m’impression­ne. J’ai alors quelque dix ans dans le corps à titre de reporter radio, je me sens déjà saturé. Je m’imagine avoir déjà connu toutes les sphères de cet univers journalist­ique… Je décide de faire le saut à la suite d’un appel des gens de la circonscri­ption d’Anjou, dans l’est de Montréal, c’est-à-dire dans le quartier Tétreauvil­le. Après un discours, j’obtiens l’investitur­e.

Tout le déferlemen­t d’ordures qui souille l’indépendan­tisme et le Québec en général commence alors à pleuvoir. N’oubliez pas que Lévesque est alors présenté comme un « Adolf Hitler » par les fédéralist­es… Un venin dont Philippe Couillard continue de pimenter son discours pour faire croire que le peuple le plus accueillan­t du monde est « haineux ».

DÉFAITE ET RETOUR EN ONDES

Une nuit, Roger Drolet, à CKVL, très écouté, m’invite à son émission. Le Parti libéral noyaute la tribune et accuse René Lévesque de tous les noms. Une femme appelle et dit : « Si le PQ gagne, ça va être la guerre civile et le sang va couler dans le fleuve ! » Spontanéme­nt, je reprends la balle : « Madame, si c’est le cas, ce n’est pas grave ! On le ramassera et on le donnera à la CroixRouge ! » Le lendemain, mon chef m’appelle pour me rappeler à l’ordre. « Vous savez, il y a d’autres façons de parler aux gens », me dit-il. Je promets de ravaler mon sarcasme.

Sur la rue Pierre-de-Coubertin, je cogne à une porte… que l’on me referme au nez ! C’était une famille italienne. Je ne me doutais pas que là vivait une jeune femme qui deviendrai­t un jour mon épouse, Bianca Ortolano, chanteuse de son métier. Même si René Lévesque vient rencontrer mes électeurs, le vote italien (à 99 % libéral) fait pencher légèrement la balance contre moi… de justesse ! Trois ans plus tard, j’ai cédé ma place à Pierre-Marc Johnson, qui l’emporte, et entre au « gouverneme­nt Lévesque »… dont j’aurais tant aimé faire partie !

Après ma campagne perdue, me voici marqué « souveraini­ste » à mon retour en onde. Une publicité de CKVL me présente comme « le premier animateur ouvertemen­t séparatist­e » et c’est ainsi, à partir des « estrades », que je fais mon bonhomme de chemin pendant ses deux mandats. À la parution de sa biographie Attendez

que je me rappelle, je lui ai consacré toute mon émission… sans me douter que sa mort était imminente. Aurons-nous un autre homme de son acabit ? Je nous le souhaite, mais j’en doute.

moment de cette photo en 1986, tandis qu’il participai­t à mon émission pour lancer son autobiogra­phie Attendez que je me

rappelle, j’étais loin de me douter que les jours de René Lévesque étaient comptés. CHRO NIQUE

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