Il a servi la cause des femmes
Il aimait les femmes fortes qui étaient capables de s’imposer et qui avaient des opinions qu’elles pouvaient défendre.” PAULINE MAROIS
René Lévesque était un séducteur notoire un peu macho, comme plusieurs hommes de son époque, ce qui ne l’a pas empêché de contribuer à l’émancipation des femmes.
La question de l’avortement illustre parfaitement ce paradoxe. Lors du congrès de 1976, les membres du Parti québécois avaient voté pour l’avortement libre et gratuit, mais M. Lévesque, alors premier ministre, a opposé un veto.
« Il avait pris le micro pour dire à quel point il était mal à l’aise avec cette question, explique son ancienne chef de cabinet Martine Tremblay. Il avait du mal à accepter ça. Il était très porté sur la famille traditionnelle. »
Or, malgré son malaise, c’est son gouvernement qui a accordé l’immunité aux médecins qui pratiquaient l’avortement. « Il comprenait la dimension humaine du problème », ajoute Mme Tremblay.
Et si René Lévesque préférait la compagnie des femmes, avec qui il était plus à l’aise, il a aussi vécu une période plus trouble selon le biographe Pierre Godin. Dans son dernier tome, ce dernier a écrit qu’à la fin de son deuxième mandat, la santé mentale de M. Lévesque s’était détériorée et il lui serait parfois arrivé de frapper son épouse, Corinne Côté.
FEMMES FORTES
Plusieurs femmes à qui nous avons parlé reconnaissent un petit côté macho à Lévesque et le qualifient « d’homme de sa génération ».
Le premier ministre considérait, par exemple, que le discours féministe allait trop loin. « Il n’aimait pas le côté revanchard et l’agressivité, ajoute Mme Tremblay. Il a eu des rencontres avec des féministes plus idéologiques, c’était plus difficile. Il avait horreur des dogmes. »
Il admirait néanmoins les femmes qui s’affirmaient. « Il aimait les femmes fortes qui étaient capables de s’imposer et qui avaient des opinions qu’elles pouvaient défendre », ajoute l’ex-première ministre Pauline Marois.
Lévesque cherchait également à s’entourer de personnes aux points de vue divers, poursuit Gratia O’Leary, qui a été son attachée de presse de 1978 à 1981. « Il était donc sensible à la montée du discours des femmes. »
DES RESPONSABILITÉS AUX FEMMES
Une sensibilité qui s’est traduite dans les responsabilités qu’il a confiées aux femmes. Lévesque a créé le ministère de la Condition féminine qu’il avait réservé à Lise Payette, en 1979. Il est aussi le seul homme à avoir été responsable de ce ministère, certes par intérim pendant deux mois, à la fin de 1984.
« Il souhaitait tellement que davantage de femmes soient en politique et dans son Conseil des ministres, ça le désolait profondément », souligne Mme Tremblay.
Lors du premier mandat, en 1976, on ne comptait que deux femmes dans le Saint des Saints, dont Mme Payette au poste de ministre des Consommateurs qui s’est ainsi retrouvée responsable d’un des plus gros dossiers de son gouvernement : la création de la Société d’assurance automobile du Québec.
« Je lui ai demandé : “Savez-vous ce que vous faites ?!” Il m’a dit : “Je vous fais confiance” », souligne Lise Payette.
« Tous ses collègues ministres masculins ne comprenaient pas pourquoi il lui avait donné ce dossier. Ça avait suscité beaucoup d’étonnement, elle était une vedette de talk-show, affirme Mme Tremblay. Mais René Lévesque a mis son poing sur la table et l’a appuyée de façon claire et nette. »
« LES PLEUREUSES »
M. Lévesque est aussi le premier à avoir nommé une femme au poste de chef de cabinet du premier ministre en 1984, soit Mme Tremblay. Gratia O’Leary, en 1978, a aussi été la toute première attachée politique d’un premier ministre.
Plusieurs journalistes avaient demandé à M. Lévesque si elle allait être en mesure de faire « la job ». « Il a répliqué, on va la laisser faire ses preuves ! », se rappelle Mme O’Leary.
Mais malgré toute la place qu’il a accordée aux femmes à ses côtés, l’histoire a surtout retenu autre chose. Claude Fournier n’a-t-il pas écrit en 1993 que Corinne Côté était entourée de deux ou trois copines surnommées « les pleureuses » et les « groupies », rappelle Martine Tremblay dans son ouvrage Derrière les portes closes.