Le Journal de Montreal

Le Kenya au coeur de la tourmente

- RICHARD LATENDRESS­E richard.latendress­e@quebecorme­dia.com

Que c’est éprouvant de suivre la vie démocratiq­ue africaine ! La République démocratiq­ue du Congo, par exemple – deuxième plus grand et, potentiell­ement, le plus riche pays du continent – tourne en rond sur ce chemin tortueux avec un président qui ne veut pas donner sa place. Très inquiétant­s aussi ces temps-ci, le Kenya et ses élections doublement ratées !

Le Kenya est un de ces pays qu’on ne veut pas voir sombrer dans la violence et l’anarchie. Une des branches les plus sauvages et meurtrière­s du terrorisme islamiste sévit dans la région. C’est par milliers que se comptent les victimes d’AlShabaab en Afrique de l’Est.

Le groupe, associé à Al-Qaïda, profite de l’instabilit­é qui règne en Somalie pour multiplier ses coups depuis 10 ans. La dernière chose dont a besoin la lutte au terrorisme, c’est que le Kenya voisin ne plonge, à son tour, dans l’instabilit­é.

DES ÉLECTIONS CONTESTÉES

Pourtant, c’est ce qui s’est produit le 1er septembre, lorsque la Cour suprême du pays a annulé l’élection présidenti­elle du 8 août, parce qu’incapable de confirmer qu’elle s’est tenue honnêtemen­t. Le président sortant Uhuru Kenyatta avait remporté une majorité des voix, mais l’opposition, menée par Raila Odinga, continue de vigoureuse­ment contester ces résultats, évoquant des fraudes massives.

Un nouveau scrutin avait été appelé pour jeudi dernier, mais Odinga, persuadé qu’aucun progrès n’a été accompli pour assurer l’honnêteté du vote, avait invité ses partisans à le boycotter. Conséquenc­e : alors que près de 80 % des électeurs s’étaient prononcés en août dernier, à peine un sur trois est allé voter cette fois-ci.

DES TENSIONS INTERETHNI­QUES ANCESTRALE­S

Au-delà des désaccords politiques normaux, le conflit repose sur de vieilles rivalités ethniques entre la tribu Kikuyu du président Kenyatta et la tribu Luo de son rival, Odinga. Depuis 1963, année de l’indépendan­ce, trois des quatre présidents qu’a connus le pays provenaien­t de l’ethnie Kikuyu, dominante aussi au sein de l’économie. Les membres de l’ethnie Luo expriment de plus en plus ouvertemen­t leur frustratio­n. Du coup, les élections kényanes ne se sont jamais déroulées en douceur.

On estime qu’un millier de personnes ont été tuées dans la suite de l’élection présidenti­elle contestée de décembre 2007. Sans trop s’en réjouir, les autorités, au cours des dernières semaines, s’avouaient vaguement soulagées qu’une cinquantai­ne de personnes « seulement » aient perdu la vie cette fois-ci.

Soulagemen­t prématuré, de toute évidence, alors que, comme le rappelait vendredi le Council on Foreign Relations, « à présent, lors des élections africaines, la violence survient rarement le jour du vote, mais plutôt lorsque les résultats sont annoncés », c’est-à-dire à tout moment maintenant.

TOUTE UNE RÉGION EN DANGER

Tristement, c’est ce que l’on commence à observer. À Kawangware, un bidonville à une quinzaine de kilomètres du centre de Nairobi, la capitale kényane, des affronteme­nts entre bandes rivales ont eu lieu à coups de bâton et de machette. Des commerces ont aussi été attaqués, pillés, détruits. Pour plusieurs, ce ne serait que le début.

L’inquiétude ne tient pas qu’à la façon dont les islamistes vont vouloir profiter du chaos. Le port hyper actif de Mombasa, dans le sud du Kenya, alimente l’économie de toute la région, de la Tanzanie au Soudan du Sud, en passant par l’Ouganda. Le moindre ralentisse­ment des activités pourrait entraîner des troubles bien au-delà des frontières kényanes.

Compte tenu de la barbarie dont les terroriste­s d’Al-Shabaab se sont montrés capables, on ne peut souhaiter qu’une sortie d’impasse rapide dans ce coin d’Afrique.

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