Le Journal de Montreal

Le courage qu’il faut aux rivières

Un premier roman qu’on a à la fois été heureux et triste de lire, parce qu’aussi bien écrit soit-il, il nous confronte à une réalité qu’on aurait préféré ignorer…

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Dans un village reculé des Balkans où les habitants vivent pratiqueme­nt en autarcie, Manushe jouit d’un statut particulie­r : plutôt que de convoler en injustes noces avec un vieux paysan aussi repoussant que mauvais, elle a prononcé très jeune le serment irrévocabl­e des « vierges jurées », dont la tradition remonte au Moyen-Âge. En faisant voeu de chasteté et en renonçant à leur féminité jusqu’à la fin de leurs jours, les vierges sous serment peuvent en effet échapper aux mariages arrangés sans déshonorer leur famille et, mieux encore, poursuivre leur existence comme si elles étaient nées hommes.

Habillée comme n’importe lequel d’entre eux, Manoushe fait ainsi partie de l’élite masculine du village depuis une bonne vingtaine d’années et à ce titre, elle peut distiller son propre raki, boire, fumer, conduire, travailler, se coucher à pas d’heure, prendre part aux réunions d’urgence, aller librement chez les uns et les autres ou rénover à sa guise la maison qu’elle a héritée de ses parents. Une vie simple qui lui a permis de gagner l’estime de tous ceux qu’elle côtoie quotidienn­ement… mais qui se compliquer­a dès l’instant où Adrian débarquera dans ce coin de pays encore fortement assujetti au régime patriarcal. Car en plus d’avoir la ferme intention de s’y installer, ce mystérieux étranger parviendra surtout à installer entre eux une très étrange relation…

Un roman poignant empreint de lyrisme qui lève délicateme­nt le voile sur l’une des innombrabl­es facettes de l’oppression féminine d’aujourd’hui, l’Albanie comptant toujours de nombreuses vierges jurées au coeur de ses villages les plus éloignés.

LE COURAGE QU’IL FAUT AUX RIVIÈRES Emmanuelle Favier, aux Éditions Albin Michel, 224 pages

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