UN SUJET TABOU : la bisexualité
Toujours curieuse des tendances de la société, Janette Bertrand, à 92 ans, a fait tout un travail de documentation pour écrire Avec un
grand A, son nouveau roman. À travers des personnages bien québécois, et une histoire étonnante, elle examine un sujet encore tabou, celui de la bisexualité et de l’identité « queer ».
Avec audace, compassion, intelligence et clarté, Janette Bertrand parle ouvertement d’un sujet qui, dit-elle, se heurte à beaucoup de préjugés.
Dans ce nouveau roman, elle a créé un couple hétérosexuel dans la quarantaine qui vit en banlieue. Un couple standard : deux enfants, du travail, une belle maison, des loisirs. En apparence, Ariane et Simon ont tout pour être heureux. Ils ont « le kit », comme elle l’écrit. L’arrivée de Larry, un séduisant représentant, fera disjoncter Simon. L’univers parfaitement ordonné bascule complètement avec l’arrivée de cette infidélité inattendue. De grands questionnements identitaires attendent chacun des personnages du roman. Aucun n’en sortira indemne.
QUELQUE CHOSE D’INNÉ ?
La bisexualité est un sujet dont elle entend parler depuis longtemps. « J’ai cinq arrière-petits-enfants et j’ai enseigné pendant 20 ans aux jeunes. Je sais que la bisexualité, c’est quelque chose que les gars adorent, parce que c’est un fantasme. Mais ce qu’ils haïssent, c’est qu’il y en ait un des deux qui profite de tout... Pourtant on n’est pas plus hétéro ou bisexuel parce qu’on le veut », commente-t-elle en précisant que c’est en grande partie quelque chose d’inné.
Qu’est-ce qui s’est passé pour que son attention soit portée sur ce phénomène social méconnu ? « Je veux comprendre. J’ai fait six mois de recherches pour comprendre. »
Elle a donc interviewé de nombreuses personnes et consulté l’auteur Michel Dorais, sociologue de la sexualité, professeur titulaire et chercheur à l’École de service social de l’Université Laval.
« J’ai interrogé des scientifiques, des biologistes. Il faut que moi je comprenne, pas nécessairement pour accepter, mais pour comprendre et savoir que ça existe. Embrasser une autre fille pour exciter les gars, comme Madonna l’a fait et comme Lady Gaga l’a fait, ce n’est pas de la bisexualité. »
Donc, qu’est-ce que c’est ? « La bisexualité, ce sont des gens qui vivent par exemple 10 ans avec un homme, puis 10 ans avec une femme. Ce n’est pas souvent les deux en même temps. Et eux-mêmes ne sont pas heureux d’être comme ça. C’est plus simple être comme tout le monde. »
Janette ajoute que, dans notre société, la bisexualité est « très mal vue ». « Ce ne sont pas des jeux d’un soir ou un trip pour essayer... C’est un besoin inné de tomber amoureux, comme Simon, dans mon livre. Mes experts m’ont dit que ces gars-là aiment leur femme pour vrai, mais leur femme, c’est une autre affaire. Ils ont pensé qu’ils étaient hétéros... mais ils avaient des tentations, comme Simon en a, dans le livre. »
Elle ajoute que c’est souvent dans la quarantaine que tout éclate et que ces hommes changent complètement. « La bisexualité, ce n’est pas un phénomène très fréquent, mais ça existe. Un bisexuel ne peut pas faire autrement qu’avoir du désir pour sa femme, et pour un gars. Et c’est pas vivable. Simon, dans le roman, dit : “Je ne suis pas un homosexuel. Mais je suis qui ?” »
ÊTRE « QUEER »
L’identité « queer » apparaît d’ailleurs dans son roman. « C’est très récent comme expression. Ça veut dire que tu peux aimer qui tu veux. On aime une personne, on n’aime pas un genre. On n’aime pas un garçon ou une fille, on aime une personne, peu importe son sexe. C’est l’amour humain qui va au-delà du genre. »