Le loup dans la bergerie
Dans le coeur de nombreuses victimes, les récentes dénonciations sexuelles ont déterré de tristes souvenirs qu’elles croyaient à jamais enfouis. Je ne parle pas de femmes ou d’hommes agressés par des patrons, collègues ou autres personnes en autorité. Je parle des victimes d’inceste. Complètement chavirées par cette déferlante de témoignages, certaines m’ont écrit parce qu’elles hésitent encore à parler de leur propre agression. « Mon père est encore vivant », « Ma famille ne me le pardonnerait pas », « J’ai osé en parler et on m’a traitée de menteuse », « Le chum de ma mère dit qu’il la tuerait si je parlais. »
INCESTE À LA MAISON
C’est un fait dont on n’aime guère se vanter : dans nos bonnes familles québécoises, l’agression sexuelle a été plus que tolérée, elle a été normalisée. On a fait croire à des milliers d’enfants qu’ils devaient faire ce qu’on attendait d’eux, frêles objets sexuels aux mains d’ignobles adultes. L’inceste, que l’Église présentait pourtant comme péché, a été couvé par des prêtres et curés qui ne se sont pas gênés eux-mêmes pour ne faire qu’une bouchée d’enfants sans défense.
Ce ne sont pas les statistiques qui manquent pour nous convaincre que le problème est encore très actuel. Selon les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), 76 % des demandes d’aide sont liées à l’inceste ou à une agression sexuelle subie dans l’enfance. Quarante pour cent des agressions sexuelles se passent au domicile familial. Le prédateur est un proche, père, beau-père ou autre personne de confiance qui n’hésite pas à souiller l’enfance de sa jeune victime.
POURQUOI CE SILENCE ?
Parce que le poids de la honte est trop lourd. Parce que la culpabilité et la peur cloîtrent les victimes. Certaines vivent dans un trou noir toute leur vie. De toute façon, vers qui se tourner pour dénoncer ? La jeune Léa s’est ouverte à son modèle, Lise Payette. Elle s’est fait dire de se taire. « Et signe ici, ma belle, pour couler à jamais ta version des faits dans la fosse abyssale de notre indifférence. »