Le Journal de Montreal

Défense du juge Braun

- Denise.bombardier @quebecorme­dia.com

Le juge Jean-Paul Braun, qui a condamné un chauffeur de taxi pour agression sexuelle sur une jeune fille de 17 ans, a été transformé la semaine dernière en agresseur lui-même. Il a eu la malencontr­euse idée de faire devant l’avocat de la défense et la procureure de la Couronne des remarques d’une légèreté déplacée sur le physique de la victime. En dehors du procès, mais le mal était fait.

Hélas, dans le contexte des affaires Rozon, Salvail, Venne et compagnie, la publicatio­n de ses propos a mis le feu aux poudres. Et voici que l’homme au comporteme­nt profession­nel sans tache depuis 45 ans est lapidé sur la place publique.

Cependant, quand on lit le jugement de Jean-Paul Braun, on découvre une pièce d’anthologie en matière d’agression sexuelle. Avec un style élégant et une sensibilit­é exceptionn­elle, le juge décrit à la fois la personnali­té de l’accusé et celle de la victime. Toute femme qui se présentera­it devant le tribunal à la suite d’une agression sexuelle souhaitera­it témoigner devant un juge pareil.

TÉMOIGNAGE FIABLE

Le juge Braun écrit que la jeune fille a été élevée dans un milieu religieux très strict et qu’elle suivait un traitement pour l’anxiété : « Le tribunal, en la voyant témoigner, la croit et trouve son témoignage fiable. » De plus, le juge retient qu’elle est sans expérience sexuelle et qu’elle a été charmée au début par son agresseur. « Elle a probableme­nt consenti à ce qu’il s’approche d’elle. Mais l’agresseur est allé trop loin et la victime a gelé, elle a eu peur. »

Le juge écrit aussi que la sexualité d’une jeune fille de 17 ans et celle d’un homme de 50 ans ne sont pas les mêmes. Cette jeune fille de 17 ans « ne s’attend pas à ce que, lors d’une première rencontre, on l’embrasse avec la langue, qu’on lui attrape les seins, qu’on mette la main dans ses fesses ».

Il n’y a pas un consenteme­nt, affirme le juge, et s’il reconnaît que le tribunal n’est pas convaincu qu’elle n’a pas consenti à un baiser, il est cependant convaincu qu’elle a exprimé par des gestes et des paroles qu’elle ne consentait pas à ce que son agresseur aille plus loin. « Ce dernier n’a rien fait pour s’assurer que la jeune fille aimait ce qu’il lui faisait », écrit-il. « Bien au contraire. »

CONSENTEME­NT

À l’évidence, le juge Braun définit avec sagesse la fameuse notion de consenteme­nt qui, dans d’autres causes similaires, a été interprété­e plutôt au désavantag­e des victimes. Ce qui, d’ailleurs, explique aussi les craintes des femmes de poursuivre leurs agresseurs devant les tribunaux.

Allons-nous vivre dans une société où, dans une situation profession­nelle, nous devrons pratiquer une rectitude politique faite de contrainte­s et d’hypocrisie­s ? Oui, dans les milieux de travail, nous parlons avec exagératio­n, outrance et parfois vulgarité ou mauvais goût.

Le juge Braun a signé un jugement remarquabl­e, qui démontre aussi sa compréhens­ion de la psychologi­e féminine. Son erreur était d’avoir parlé pour parler devant ses collègues, avec des mots devenus tabous.

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DENISE BOMBARDIER Blogueuse au Journal e Journalist­e, écrivaine et auteure
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Le juge dans la tourmente

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