Le Journal de Montreal

Essentiel nationalis­me fiscal

- antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Le gouverneme­nt Couillard profite d’un rapport de force avec Ottawa qu’il a bien failli abandonner il y a deux ans.

De quoi je parle ? De « l’autonomie fiscale ». Autrement dit, de la capacité du gouverneme­nt du Québec de définir ses propres politiques fiscales.

Hier, le ministre des Finances Carlos Leitao annonçait un plan en 14 points pour l’« équité fiscale » : lutte à l’évitement et meilleur encadremen­t du commerce électroniq­ue.

À l’ère des fuites massives en provenance du Panama et du Paradis, le gouverneme­nt doit se montrer actif sur ces fronts.

Tout comme il a senti le besoin, au nom de l’équité, de résister au « jolyisme » (doctrine ânonnée à Ottawa qui commande à nos gouverneme­nts de se coucher devant les puissances commercial­es numériques contempora­ines comme Netflix).

QS MARQUE DES POINTS

Sur ce front, Québec solidaire joue bien ses cartes depuis plus d’une semaine.

Avec ce qu’on pourrait appeler son projet de « loi Simons » – visant à encadrer le commerce en ligne présenté par Gabriel Nadeau-Dubois aux côtés de l’entreprene­ur Peter Simons la semaine dernière –, le parti de gauche s’est montré constructi­f.

En plus, en réussissan­t à faire de Simons un allié dans sa cause, il a illustré le consensus sur la question et atténué son image de parti radical.

Le gouverneme­nt Couillard, pour sa part, y a vu une occasion de montrer qu’il pouvait défendre les intérêts du Québec.

Qu’il ait fait encore preuve de volontaris­me hier avec son plan en 14 points n’est pas étonnant.

Pour forcer le jeu, Québec est même prêt à percevoir la TPS sur les services numériques, comme le lui impose la loi, même si Ottawa recevrait des sommes qu’il n’a pas sollicitée­s !

TENTATION « UNITARISTE »

Cette fermeté tranche avec les thèses unitariste­s (favorables à un État unitaire canadien) soutenues par le même gouverneme­nt Couillard, au début de son mandat, en 2014 et en 2015.

À l’époque, il ne manquait pas une occasion pour envoyer le signal que le Québec devait se faire hara-kiri sur le plan fiscal en abandonnan­t au fédéral en tout ou en partie la perception des taxes et impôts.

En août 2015, après le dépôt du deuxième rapport Robillard sur la révision des programmes, le président du Conseil du trésor de l’époque, Martin Coiteux, n’avait pas caché ses tentations.

Dans le passé, nombre de libéraux, péquistes, adéquistes, caquistes ont réclamé que les Québécois ne remplissen­t qu’une seule déclaratio­n d’impôt, celle du Québec.

Le gouverneme­nt Couillard, lui, songeait au contraire à presque tout confier à Ottawa !

« Il ne faut pas être dogmatique. Ça ne veut pas dire que tous les impôts doivent être perçus d’une seule et unique façon. Ça ne veut pas dire qu’on a toujours, dans chacun des cas, le meilleur percepteur », déclarait Martin Coiteux.

Ce dernier insistait : abandonner la perception, ce n’était pas nécessaire­ment perdre toute notre « autonomie fiscale ». Or, hier, j’ai posé la question à Carlos Leitao : et si la recommanda­tion Robillard avait été appliquée, « qu’est-ce qui en serait aujourd’hui de la possibilit­é pour le Québec de faire des choix » comme ceux qu’il propose ?

Sa réponse fut limpide : « On ne serait pas ici en train de discuter de ces enjeux-là. » On a beau abhorrer taxes et impôts (comme mon ami Michel Hébert), le fait que Québec puisse les percevoir – entre autres grâce à Duplessis en 1954 et Bourassa en 1992 – donne à notre gouverneme­nt national québécois, dans cette fédération (j’insiste, ce n’est pas un pays unitaire), une latitude pour faire certains choix clés.

Heureuseme­nt que le gouverneme­nt Couillard a finalement renoncé à la doctrine unitariste de Martin Coiteux et de Lucienne Robillard.

Le Québec y aurait perdu en autonomie. Et le gouverneme­nt Couillard ne pourrait pas engager aujourd’hui avec Ottawa une belle bataille… qui lui permet de se redonner à peu de frais un vernis nationalis­te.

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@Ant_Robitaille Jeux de pouvoir ANTOINE ROBITAILLE Chef du Bureau d’enquête au parlement de Québec
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S’il n’en avait tenu qu’à Martin Coiteux, président du Conseil du trésor, le Québec aurait totalement abandonné en 2015 son autonomie fiscale.

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