Le process avorte
Alors que le procès de l’entrepreneur Tony Accurso était presque terminé, il faut tout recommencer. Les procédures judiciaires ont avorté hier à cause d’une banale conversation entre une jurée et un membre de sa famille.
« C’est désolant, mais je ne vois pas d’autre solution que de prononcer – et ce sera le premier que je prononce en 15 ans de carrière – un avortement de procès », a affirmé le juge James Brunton de la Cour supérieure.
Accurso est accusé de fraude et corruption pour son rôle allégué dans un stratagème de trucage des contrats publics et de pots-de-vin à Laval.
Son procès durait depuis presque un mois et demi, et le jury devait commencer à délibérer sur un verdict la semaine prochaine.
Mais hier matin, la jurée numéro 6 a informé le juge que son oncle par alliance lui avait donné des renseignements ce mardi concernant un témoin-clé de la Couronne, soit le collecteur d’enveloppes Marc Gendron.
DISCUSSION FATALE
Cet oncle aurait raconté avoir vu une mallette pleine d’argent dans le bureau de Marc Gendron, il y a plusieurs années. Il aurait parlé d’« un gros système » à Laval et évoqué « une mafia ».
La jurée numéro 6 a affirmé avoir parlé de cette conversation avec la jurée numéro 1 et la jurée numéro 7. Trois des 11 jurés ont ainsi potentiellement été contaminés.
Le juge Brunton a rappelé que, dans un procès, les seuls éléments qui doivent être portés à la connaissance du jury sont ceux présentés dans la salle de cour.
« Je ne vois pas comment ce procès demeure viable dans les circonstances », a-t-il estimé.
« Évidemment, ce n’est pas le résultat qu’on escomptait. Vous comprendrez qu’on était prêts », a estimé Me Jean Pascal Boucher, porte-parole de la Couronne.
Ce revirement majeur ne signifie pas que les accusations contre l’entrepreneur tombent. Tony Accurso devra se présenter au palais de justice en janvier prochain pour fixer une nouvelle date de procès.
Hier, il a quitté le palais de justice sans indiquer si ce rebondissement faisait son affaire.
Chose certaine, son avocat Marc Labelle avait demandé, sans succès, la semaine dernière, un avortement de procès en alléguant que le quotidien La Presse+ avait rapporté des propos tenus par le juge sans la présence du jury, ce qui est interdit.
« FRUSTRANT ET INSULTANT »
« Je trouve ça frustrant et insultant, mais on ne peut pas contrôler ces choses-là », dit l’avocat Charles B. Côté, questionné par Le Journal à propos de l’avortement du procès.
Pour lui, les jurés sont suffisamment informés qu’ils ne doivent pas être contaminés. Selon le criminaliste, la gaffe de la jurée était imprévisible et a peu de chances de favoriser une requête pour délais abusifs.
« Dans le cas d’un arrêt Jordan, il faut que ce soit de la faute de la poursuite ou du système, explique Me Côté. Qui aurait pu prévoir une chose comme ça ? »
L’avocat Jean-Claude Hébert est du même avis, mais souligne que l’avocat d’Accurso voudra sans doute se manifester dès que possible.
« Du point de vue stratégique, son intérêt, c’est de dire : “Moi je suis prêt le 8 janvier”, puis d’attendre la date qu’on va lui donner », dit-il.
Selon lui, plus le délai sera long avant un nouveau procès, plus le clan Accurso a des chances de tirer profit de la situation.
Me Hébert ne doute pas que l’avocat d’Accurso profitera de l’occasion que le juge Brunton lui offre.
« Je sais que Marc Labelle a une grande expérience et qu’il est capable de retourner la situation en faveur de son client. »
« CE SERAIT TROP DANGEREUX DE CONTINUER. [...] LE PROCÈS N’EST PLUS VIABLE. » - Le juge James Brunton « LE DOSSIER N’EST PAS CLOS. IL S’AGIT D’UN DOSSIER QUI VA SE POURSUIVRE, ET NOUS SERONS PRÊTS À PROCÉDER. » - Me Jean-Pascal Boucher, porte-parole de la Couronne