Fabuleuse Gaspésie !
C’est fou, délirant, jubilatoire ! C’est plus de 700 pages d’inventivité à partir d’une lointaine histoire de vengeance, déclinée avec exubérance. Pour un premier roman, La bête creuse est déjà dans une case à part.
Christophe Bernard a été critique littéraire et est devenu traducteur de romans, notamment ceux de la maison d’édition Le Quartanier. Cet automne, avec La bête creuse, c’est sa fiction à lui qu’il livre, un conte qui a du souffle, qui couvre tout le siècle, et qui est à la fois fantastique, drôle, cruel, brillant et d’une impayable banalité.
Ce qui a inspiré l’auteur, c’est sa Gaspésie natale et la tournure d’esprit qui marque la langue que l’on y parle. Une manière d’exagération dans la description, un répertoire d’expressions colorées pour évoquer l’ordinaire et ce qui ne l’est pas tant.
Il a donc mis au point une histoire qui prend sa source au début du 20e siècle. Une affaire de partie de hockey où le jeune Monti Bouge, dans les buts, avait réussi à stopper la rondelle en plantant ses dents dedans. Mais l’arbitre, Victor Bradley, un gars de Paspébiac, avait déclaré que ben non, le but était bon. Cent ans de guerre venaient de se déclarer.
Les premières salves seront tirées lorsque Bradley, quelques années plus tard, deviendra facteur à La Frayère, dans la baie des Chaleurs. C’est le village à Monti – entendu même au sens propre puisqu’il en prendra de plus en plus possession à mesure que sa fortune grandira, suite au détour qu’il a fait vers des terres lointaines comme chercheur d’or. Bref, il y aura désormais face à face permanent entre Monti et son ennemi, et c’est à qui rendra la vie la plus pénible à l’autre. Coup de cochon contre coup de chien, mensonges et imagination seront au rendez-vous.
Parallèlement, le roman nous ramène à aujourd’hui pour suivre, pendant 24 heures, d’autres péripéties pas piquées des vers. François, petit- fils de Monti, décide en effet de quitter Montréal en taxi pour retourner à La Frayère. François est un historien sans boulot, un doctorant à la thèse en suspens, un jeune homme dérangé et perdu dans ses chimères… Il sait, lui, que sa famille est poursuivie par une malédiction, il y consacre d’ailleurs un livre, et c’est ce dont il veut prévenir la famille restée au village. Mais ce périple en taxi se fera au coeur d’une nuit où une gigantesque tempête de neige sévit, ce qui aura aussi des répercussions sur l’autre tour que des descendants de Bradley sont à jouer…
Et ce résumé bien sage ne rend pas compte des digressions dont le roman regorge ni des débordements trop alcoolisés, qui virent au rire ou au saccage ou au sarcasme. C’est en fait si foisonnant qu’on s’y perd parfois.
Mais la langue nous garde accrochés, mélange de parlure d’autrefois et d’expressions d’aujourd’hui, si évocatrice que ces 700 pages deviennent une succession d’images, assez fortes merci, sous nos yeux. Vraiment un univers unique et un roman à part.