Le Journal de Montreal

La neutralité dont personne ne parle

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Depuis la désormais célèbre charte des valeurs du ministre péquiste Bernard Drainville, devenu animateur de radio, la neutralité de l’État est un sujet de débat récurrent. Le hijab, la kippa, le crucifix de l’Assemblée nationale, l’autorisati­on des lames de 6 cm dans les avions, la moindre étincelle attise le feu et le débat reprend de plus belle.

Il y a pourtant une neutralité dont on ne discute jamais et que tous les Canadiens considèren­t comme acquise, c’est celle de l’internet. Selon les règles actuelles du CRTC, tous les sites internet, quels qu’en soient le contenu, l’origine ou le propriétai­re, doivent être traités d’égale façon par les fournisseu­rs d’internet, qui ne peuvent non plus accorder d’avantages particulie­rs à leurs abonnés.

C’est pour cette raison qu’en avril dernier, le CRTC a jugé que Vidéotron n’avait pas le droit de permettre à certains de ses abonnés d’écouter de la musique à partir d’Apple Music ou de Spotify sans que l’écoute soit quantifiée dans leur forfait mensuel de données.

La plupart de nos fournisseu­rs, Bell comme Telus et compagnie, considèren­t que cette façon rigide d’interpréte­r la neutralité de l’internet les empêche de se distinguer les uns des autres et limite les options qu’ils pourraient offrir à leur clientèle.

DES ACCOMMODEM­ENTS RAISONNABL­ES

Les grands fournisseu­rs américains comme AT&T, Verizon ou Comcast sont du même avis. Ils militent donc pour une neutralité qui leur permettrai­t des accommodem­ents raisonnabl­es. Ils ont trouvé chez le nouveau président de la FCC, l’équivalent de notre CRTC, une oreille bienveilla­nte.

Le 14 décembre, la FCC décidera si elle maintient la neutralité telle qu’elle l’a définie en 2015 après une demande expresse du président Barack Obama. Depuis, les fournisseu­rs doivent traiter toute leur clientèle sur le même pied, qu’il s’agisse de Netflix ou du site de la petite quincaille­rie du coin. Netflix, par exemple, n’a pas le droit de payer une prime à un fournisseu­r pour avoir priorité sur les autres ou pour que ses séries soient transmises à plus haute vitesse.

Comme rien de ce qu’a fait Obama ne trouve grâce aux yeux de Trump, il a nommé à la FCC un président convaincu que l’abandon d’une neutralité aussi rigide favorisera la concurrenc­e et l’innovation et, en fin de compte, profitera aux consommate­urs.

LA RÉVISION DE NOS LOIS

Dans les prochains mois, Mélanie Joly, ministre du Patrimoine, doit présenter une révision complète des lois sur la radiodiffu­sion et les télécommun­ications. Michael Geist, professeur à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’internet et du commerce électroniq­ue, compte parmi les gourous les plus influents du gouverneme­nt actuel.

Comme plusieurs autres, Geist fait une campagne tous azimuts pour que la neutralité de l’internet, telle que le CRTC la définit, soit enchâssée dans la nouvelle loi sur les télécommun­ications. De cette façon, elle deviendrai­t pratiqueme­nt immuable.

S’opposer à la neutralité de l’internet, c’est comme être contre la vertu. N’empêche que je serais moins inquiet que la neutralité actuelle ait force de loi si ses plus ardents défenseurs n’étaient pas Google, Facebook, Amazon, Netflix, Uber et tous les autres géants américains qui accaparent allègremen­t une grande partie de notre bande passante sans en payer le juste prix.

TÉLÉPENSÉE DU JOUR

Ottawa songe à interdire les patins à lame sur sa nouvelle patinoire de 5,6 millions $, car ils égratignen­t la glace.

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