Le Journal de Montreal

Les larmes sélectives de Justin

- JOSEPH FACAL

S’excusera-t-il, au nom de l’État canadien, pour l’assimilati­on des francophon­es hors Québec ?

Au nom de l’État canadien, Justin Trudeau a offert ses excuses à la communauté LGBTQ2 pour les brutalités subies dans le passé.

Auparavant, il s’était excusé auprès des peuples autochtone­s.

Contrairem­ent à ce que vous pourriez penser, je ne suis pas contre.

RECONNAISS­ANCE

On reproche souvent à cette repentance publique de plaquer la sensibilit­é moderne sur les mentalités du passé.

Nous serions en effet choqués si, après nous être réincarnés, nous apprenions qu’en 2057 on nous reproche des comporteme­nts parfaiteme­nt normaux en 2017. Ce reproche ne tient pas ici. L’excuse ne vise pas à réparer les blagues grossières de jadis sur les « fifs » et les « tapettes » ni à condamner le fait qu’on utilisait jadis le mot « sauvage » pour désigner les autochtone­s, des mots totalement déplacés aujourd’hui.

L’excuse vise à reconnaîtr­e des exactions qui, même à leur époque, choquaient déjà certains contempora­ins.

On reproche souvent aussi à ces initiative­s de reposer sur des réinterpré­tations de l’Histoire.

C’est vrai, mais l’Histoire est toujours réinterpré­tée. On ne raconte plus l’histoire du Canada comme on la racontait du temps de François-Xavier Garneau.

On peut aussi comprendre que les descendant­s de ces gens portent en eux des blessures, et que rester silencieux puisse être vu comme une sorte d’apologie du passé. Se taire, c’est consentir. Tout cela se plaide fort bien. Mon malaise réside dans le fait que la compassion de Justin Trudeau est hautement sélective.

S’excusera-t-il, au nom de l’État canadien, pour l’assimilati­on des francophon­es hors Québec ?

Après tout, cette assimilati­on ne fut pas causée seulement par la démographi­e, mais aussi par des lois interdisan­t carrément aux francophon­es d’avoir leurs propres écoles.

Ces lois furent votées par des parlements provinciau­x, mais avec le silence complice d’Ottawa.

Ce n’est pas parce qu’un événement n’est pas physiqueme­nt violent qu’il n’est pas une violation flagrante de droits fondamenta­ux.

Justin Trudeau s’excusera-t-il, au nom de l’État canadien, de ce que celui-ci, en octobre 1970, emprisonna 497 Québécois contre lesquels aucune accusation ne fut jamais portée ?

Non, il ne le fera pas, évidemment. Ce fut pourtant une violation massive de leurs droits fondamenta­ux.

CALCUL

L’Histoire « officielle », celle que l’État raconte, est toujours écrite par les vainqueurs, qui imposent leur lecture et la sensibilit­é du moment.

Mais le passé est aussi instrument­alisé afin d’imposer un nouveau récit dominant qui servira à justifier les politiques du présent.

En reconnaiss­ant les torts faits à divers groupes selon leur orientatio­n sexuelle ou la couleur de leur peau, mais pas les torts faits aux francophon­es, on fait de ces derniers un groupe parmi d’autres.

Mieux encore, on leur passe le message que, comparés à d’autres, ils n’ont pas assez souffert pour qu’on prenne au sérieux leurs doléances.

Il y avait un calcul politique derrière cette mise en scène de l’émotion.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada