Netflix, l’arbre qui cache la forêt
Les Québécois sont indignés que Netflix ne perçoive ni TPS ni TVQ, alors que des entreprises similaires comme Illico, Crave ou Tou.tv Extra doivent facturer les taxes. Au Canada anglais, étrangement, cette criante iniquité fiscale n’a pas la même résonance. Ce n’est peut-être qu’une question de temps.
Quand on aura compris que ce passe-droit dont bénéficient presque toutes les entreprises étrangères du web affaiblit de plus en plus notre propre commerce en ligne, le ministre des Finances Bill Morneau, s’il est encore en poste, n’en aura pas fini avec les contribuables et les entreprises comme Simons.
Mercredi dernier, avant son allocution à la Chambre de commerce de Montréal, la ministre Mélanie Joly a dû affronter le tir groupé d’une large coalition contre l’entente avec Netflix. La coalition comprenant même des concurrents naturels comme Vidéotron et Bell Média a publié dans les journaux un manifeste dévastateur. Des dizaines d’artistes comme Karine Vanasse, Denys Arcand ou Patrick Huard l’avaient signé aussi.
L’ENTENTE EST-ELLE ÉCRITE ?
Dois-je rappeler aux artistes que « l’affaire Netflix » n’a aucune incidence sur leur situation ? Même si Netflix et les autres géants du web devaient percevoir un jour TPS et TVQ, ce qui serait la logique même, les sommes perçues enrichiraient le trésor public sans pour autant être affectées à la culture ou au patrimoine. Mélanie Joly a d’ailleurs déclaré à Montréal ce qu’elle aurait dû dire dès le 28 septembre, « qu’elle fait une politique culturelle et non une politique fiscale ».
Le problème, c’est que le milieu a déduit qu’en dévoilant sa politique culturelle en même temps qu’elle annonçait l’entente avec Netflix, la ministre faisait de cette entente la pierre d’assise de sa politique. L’accord avec Netflix n’est probablement qu’un gentlemen’s agreement. Tels que je connais les « majors » pour avoir, en 1982 ou 1983, en compagnie de Clément Richard, ministre des Affaires culturelles de l’époque, négocié avec eux le doublage de leurs films au Québec, les géants américains refusent presque toujours de se commettre par écrit.
Voilà qui expliquerait pourquoi Québec n’a pas encore reçu copie de l’entente Netflix.
DES TRAVAUX D’HERCULE
Le « cadre stratégique du Canada créatif » que la ministre Joly a rendu public à Ottawa repose sur trois piliers dont chacun appelle de véritables travaux d’Hercule. La révision des lois sur le droit d’auteur et la radiodiffusion, la réorientation de Radio-Canada, la survie des nouvelles locales, la distribution internationale de nos oeuvres, la création d’un conseil des industries créatives, la modernisation des traités de coproduction, la pérennité de l’exception culturelle dans les accords internationaux, sans compter la révision de la Loi sur les télécommunications, responsabilité première du ministre Navdeep Bains, comptent parmi les plus gros défis qui attendent la ministre Joly. Et il y en a d’autres !
Quel dommage si l’affaire Netflix, bien insignifiante en regard de ce qu’il faut accomplir, allait paralyser Mélanie Joly et son ministère ou atténuer l’ardeur et l’audace dont elle doit faire preuve pour réaliser sa gigantesque politique culturelle.
Il ne faut surtout pas que Netflix devienne l’arbre qui cache la forêt. La ministre Joly ne saurait réaliser sa politique sans le concours et l’appui de toutes les forces vives du milieu, celles de l’industrie comme celles des artistes et des artisans.
TÉLÉPENSÉE DU JOUR
Robert Charlebois sera intronisé commandeur de l’Ordre des arts et des lettres. Il y rejoindra Zachary Richard, Donald Sutherland et Antonine Maillet.