Le Journal de Montreal

La fin du papier ?

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com

Depuis quelques jours, c’est fait : La Presse a renoncé à son édition papier. Je l’écris sans arrière-pensée : cela m’attriste profondéme­nt.

J’ai beau critiquer sévèrement sa ligne éditoriale fédéralist­e et multicultu­raliste, je m’en désole. Car La Presse, c’était aussi une institutio­n et les grandes signatures qui ont marqué son histoire, comme on l’a vu avec le bel hommage rendu dans le dernier numéro à Pierre Foglia. Lui-même allait à contre-courant de son journal. Il n’était pas le seul et on en trouve encore.

LA PRESSE

Évidemment, La Presse continuera sur le web. C’est-àdire qu’elle continuera, mais avec un support plus moderne, adapté à l’environnem­ent technologi­que contempora­in.

Peut-être s’agit-il d’une forme de réalisme technologi­que ? On nous le répète : à terme, le papier est condamné. Mais est-ce bien vrai ?

Surtout, est-ce qu’un journal qui n’a plus d’édition papier ne perd pas une partie de son âme ?

Il n’en demeure pas moins que l’abandon du papier par La Presse n’est pas qu’une décision d’affaires. Cela s’inscrit dans un contexte plus large.

J’enseigne à l’université depuis 2008. Au début de chaque session, d’une manière ou d’une autre, je questionne mes étudiants sur leurs habitudes de lecture.

Je leur demande notamment combien parmi eux achètent régulièrem­ent un quotidien.

Honnêtemen­t, il n’y en a à peu près aucun. Quand je le leur demande, j’ai l’air d’un martien. Cela ne fait pas partie de leurs habitudes. Plus encore : même de manière exceptionn­elle, lors d’événements importants, le réflexe d’acheter un quotidien ne leur vient pas.

Il faut dire qu’ils peinent à voir le monde autrement qu’à travers un écran. Si une nouvelle ne défile pas sur leur babillard Facebook, ils risquent bien de ne jamais la croiser.

Comme bien des enseignant­s, je constate que le livre papier les intéresse de moins en moins. Lorsque vient le temps de faire une recherche pour un travail, ils préfèrent naturellem­ent les articles en ligne plutôt que les livres de la bibliothèq­ue.

Mais il y a encore plus troublant. Pour eux, l’informatio­n est gratuite. Lorsqu’ils tombent sur un article payant, sur internet, cela les enrage. Payer pour lire les nouvelles ? Quelle idée ! On s’imagine que tout est gratuit. Cette manière de voir est généralisé­e dans la population.

Et qu’on me permette une confession nostalgiqu­e : rien ne remplacera le journal papier.

DÉMOCRATIE

On me pardonnera de rappeler une évidence, mais les grands journaux reconnus sont essentiels en démocratie.

Ils structuren­t l’espace public et créent les conditions du débat collectif. Ils départagen­t entre les vraies informatio­ns et les rumeurs plus ou moins loufoques. Ils permettent des enquêtes de fond. Ils privilégie­nt le commentair­e informé plutôt que l’opinion gratuite. Cela coûte cher à produire.

Et qu’on me permette une confession nostalgiqu­e : rien ne remplacera le journal papier. Ce dernier s’impose à ceux qui l’aiment comme un rituel. Il donne une vision d’ensemble de l’actualité.

Sur écran, qu’on le veuille ou non, on est porté à cliquer compulsive­ment. La concentrat­ion n’est pas la même.

Derrière la bataille pour les journaux, c’est une autre bataille qui se mène. Celle pour sauver la lecture et la culture démocratiq­ue.

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