Le Journal de Montreal

La nation piégée

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Dans la foulée de l’attentat meurtrier du 29 janvier 2017 au Centre culturel islamique de Québec, des groupes musulmans demandent au gouverneme­nt Trudeau d’instituer une journée nationale contre l’islamophob­ie. Dans un monde idéal, on pourrait en débattre calmement.

Or, nous ne vivons pas dans un monde idéal. Le sujet même de l’islamophob­ie polarise à l’extrême. Pour les uns, c’est une création d’islamistes radicaux visant à faire taire toute critique de l’islam. Pour les autres, il existe bel et bien une crainte face aux musulmans dont découlent un nombre croissant de gestes haineux.

Dans ces deux positions opposées, il y a pourtant des éléments de vérité. Il est vrai que des islamistes instrument­alisent le concept d’islamophob­ie. Tout comme il est aussi vrai qu’à travers l’Occident, la méfiance envers l’islam est un phénomène réel.

CONTEXTE PARTICULIE­R

Sur le plan social, cette méfiance est nourrie par la peur classique de l’inconnu et une opposition élargie au port du voile. Sur le plan politique, par les attentats terroriste­s perpétrés au nom de l’islam.

Partout en Occident, des sociétés tentent d’en débattre selon leur propre contexte. Au Canada anglais, du fait d’un faux sentiment de supériorit­é morale face aux Québécois, on préfère croire que la crainte de l’islam se limite au Québec.

Ce contexte particulie­r attise d’autant la polarisati­on du débat au Québec. Les francophon­es étant toujours soupçonnés du pire, tout débat sur ces questions, y compris l’antisémiti­sme, est miné d’avance. Traités à tort de xénophobes, beaucoup de Québécois en ont ras le pompon. Au point de se méfier de certains débats malgré tout nécessaire­s.

Le rapport Bouchard-Taylor suggérait d’ailleurs que « des initiative­s exceptionn­elles soient prises pour lutter contre l’islamophob­ie et l’antisémiti­sme et pour combattre la discrimina­tion dont sont l’objet tous les groupes racisés, notamment les Noirs ».

UNE MINORITÉ INQUIÈTE

À La Presse, un éditoriali­ste favorable à une journée nationale contre l’islamophob­ie concluait ceci : « La majorité a un devoir : celui de faire de la place à ceux qui en ont moins. C’est en effet au groupe social dominant qu’incombe la responsabi­lité d’évacuer les discrimina­tions, les exclusions et les racismes qui le traversent. »

Or, au sein du Canada, les francophon­es du Québec, toutes origines confondues, ne forment justement pas le « groupe social dominant ». Ils forment une minorité nationale de surcroît en déclin démographi­que et politique. D’où une insécurité culturelle concrète.

Pour toutes ces raisons, même si le débat sur la crainte de l’islam devrait se faire, le vrai problème est qu’il est gravement miné sur le terrain politique. En se voyant constammen­t accusée par le reste du pays d’intoléranc­e atavique, sur ces questions déjà sensibles, la société québécoise est piégée d’office.

La récupérati­on électorali­ste qu’en font aussi les partis politiques ajoute au blocage. De la pseudo-crise des accommodem­ents raisonnabl­es en passant par la charte des valeurs et la loi 62 sur le « visage découvert », la religion surtout visée est l’islam.

Bien malin celui qui connaît le moment où un déblocage sur ces questions pourra enfin se faire.

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Les francophon­es étant toujours soupçonnés du pire, tout débat sur ces questions sensibles est miné d’avance.
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josee.legault@quebecorme­dia.com

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