Le Journal de Montreal

Plus graves que les mots eux-mêmes

- RICHARD LATENDRESS­E richard.latendress­e@quebecorme­dia.com

Je le fais sincèremen­t à contrecoeu­r, mais c’est la dernière fois. Je dois répéter les insultes que le président Trump aurait prononcées la semaine dernière à l’égard des immigrants africains et haïtiens. Parce que ce n’est presque plus important de savoir exactement s’il a dit « trous à merde », « pays de merde » ou « maisons de merde ».

On s’entend, ce sont des termes révoltants dans la bouche d’un homme qui, en principe, représente une nation phénoménal­ement multiethni­que de plus de 320 millions d’habitants.

L’amnésie (« m’en souviens plus ! ») ou la surdité (« pas exactement entendu ça ! ») de certains républicai­ns présents dans la pièce ne font pas le poids face au témoignage d’autres républicai­ns et de tous les démocrates qui étaient là et qui jurent avoir entendu ce qu’ils ont entendu.

Donald Trump n’aurait jamais dû employer ces expression­s (ou une d’entre elles, tout au moins) et même si, sur le coup, il se réjouissai­t, dit-on, du fait que son électorat allait être d’accord avec lui, il s’en mord certaineme­nt les doigts.

DU PAIN BÉNIT POUR SES ENNEMIS

Il ne s’agissait que de regarder Cory Booker, le sénateur démocrate du New Jersey, griller hier après-midi la secrétaire à la Sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen, devant la commission judiciaire du Sénat américain : « J’avais des larmes de rage quand j’ai appris ce qui s’est dit à cette rencontre. » Nielsen, en passant, était là.

Booker, en criant et en tapant sur son bureau, s’est assuré que les électeurs de gauche, les Africains-Américains et les immigrants naturalisé­s (africains et haïtiens, en particulie­r) se souviendro­nt de lui quand, si les rumeurs se confirment, il finira par se lancer dans la course à présidence en 2020.

Donald Trump, pour sa part, a essayé de rattraper ce qu’il a pu, en assurant, hier, à la fin d’une rencontre, dans le Bureau ovale, avec le président du Kazakhstan, qu’il voulait accueillir des immigrés « venus de partout ». Fort possible qu’il préférerai­t un diplômé en médecine du Nigeria plutôt qu’un autre travailleu­r agricole mexicain ; pas sûr toutefois qu’il sera le dernier à trancher.

UNE GIROUETTE BARRÉE À DROITE

Le compte rendu fouillé qu’une équipe de journalist­es du Washington Post est parvenue à établir de la rencontre au cours de laquelle les insultes ont volé montre l’influence des forces anti-immigratio­n autour du président.

Dans un premier temps, Trump, emballé par un projet de réforme de l’immigratio­n soumis par le sénateur démocrate Dick Durbin et le sénateur républicai­n Lindsay Graham, les avait invités à la Maison-Blanche pour sceller l’affaire.

Le temps qu’ils arrivent, certains de ses conseiller­s se sont appliqués à le faire changer d’avis : Stephen Miller, notamment, le penseur et le rédacteur derrière les décrets anti-immigratio­n si controvers­és de l’administra­tion Trump, et John Kelly, le chef de cabinet du président, un homme que tout le monde admire pour avoir ramené un semblant de stabilité dans cette Maison-Blanche.

Sauf que Kelly, pendant les six premiers mois de la présidence Trump, occupait le poste de secrétaire à la Sécurité intérieure et se vantait constammen­t d’avoir, mieux que quiconque, fermé les frontières et chassé hors du pays toujours plus de sans-papiers. En matière d’immigratio­n, ce n’est pas un doux lui non plus. Ce que l’on comprend finalement, c’est que les immigrants, illégaux ou non, ont très peu d’amis dans cette Maison-Blanche. Les mots blessent, c’est sûr, mais les efforts pour fermer les portes et construire des murs vont continuer de faire beaucoup plus mal.

Les immigrants, illégaux ou non, ont très peu d’amis dans cette Maison-Blanche.

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PHOTO AFP Donald Trump a assuré hier qu’il voulait « accueillir les immigrés venus de partout » après ses propos controvers­és de vendredi dernier.
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