RÉCIT D’UNE NUIT D’HORREUR
Les témoins qui l’ont vécu de l’intérieur racontent le drame
19 H : LA PRIÈRE
Une soixantaine de personnes sont présentes à la prière du dimanche soir à la Grande Mosquée. Une soirée ordinaire.
Les hommes sont au rez-de-chaussée, alors que les femmes et les enfants sont à l’étage. C’est calme, les gens se recueillent. Nizar Ghali fait office d’imam ce soir-là. La communauté est à la recherche d’un célébrant permanent. Sa fille de huit ans est sur place avec lui. Son ami Aymen Derbali est tout près.
Comme à l’habitude, les Guinéens Mamadou Tanou Barry et Ibrahima Barry sont présents.
Le propriétaire de l’épicerie-boucherie Assalam, Azzeddine Soufiane, y est également, ainsi que le professeur en génie alimentaire, Khaled Belkacemi qui accompagne un ami pour cette prière. Tout juste arrivé de sa course au PEPS, Abdelkrim Hassane vient de prendre place dans la salle principale du 2877, chemin SainteFoy. Le Tunisien Aboubaker Thabti s’est déplacé pour écouter Nizar.
Le président et comptable du Centre islamique culturel, Mohamed Yangui, rassemble ses affaires pour se rendre à la prière. Son fils Aziz l’interpelle. Il a de la difficulté avec son devoir de mathématiques. Mohamed décide de rendre plus tard à la Mosquée. Aider son fils est sa priorité.
L’ambulancier paramédical Xavier Gonthier-Blouin et son coéquipier Tommy Fraser doivent transporter une personne au CHUL. Pendant ce temps, le directeur des urgences du CHU, Pierre-Patrick Dupont, raccompagne ses parents à la porte de la maison à la fin du souper dominical. De son côté, le chirurgien Julien Clément, qui a servi en Afghanistan, s’habille en « mou » et s’installe pour déterminer ses prochaines vacances estivales.
Il fait – 20 °C à l’extérieur. Le vent est encore plus intense au Saguenay–LacSaint-Jean, où se trouve le premier ministre du Québec, Philippe Couillard. Il est à la maison, dans sa circonscription de Roberval pour le week-end.
FIN DE LA PRIÈRE
La prière prend fin. Il est 19 h 45. Plusieurs personnes quittent les lieux et retournent paisiblement à la maison. Une dizaine de minutes plus tard, les premiers bruits de balles se font entendre. Saïd Akjour se trouve à la droite de la salle principale. Comme à son habitude, il lit les passages du Coran récité par l’iman durant la cérémonie. Il entend le bruit, mais ne s’inquiète pas. Au total, 39 personnes sont réunies en petits groupes pour discuter.
À l’entrée de la Mosquée, les Guinéens Mamadou Tanou Barry et Ibrahima Barry sont abattus à bout portant par un homme avec un fusil ressemblant à une arme d’assaut. La fusillade vient de commencer. Pourtant, à l’intérieur, les gens pensent toujours qu’il s’agit de quelque chose de banal, d’un feu d’artifice.
Le tireur entre dans la mosquée, tire des dizaines de balles en direction de ces hommes de foi. Les douilles tapissent le sol. Le sang aussi.
LA FUSILLADE
La trentaine de fidèles, dont quelques enfants, remarquent un homme avec un fusil à la main. Il tire à bout portant sur les gens, un à un. Touchés, des hommes s’écroulent au sol. À droite de la salle, derrière une colonne, Saïd voit le visage de l’assaillant. Il se cache. Rachid Aouame entend quelque chose qui ressemble à des bruits de pétards. Les gens se figent, ils sont surpris. Rachid se retourne. Il voit son beau-frère, Azzeddine Soufiane, se jeter sur le tireur. Il pouvait fuir derrière le tireur, mais il décide de l’interpeller. Courageusement, Soufiane tente de le désarmer. Sa tentative échoue et il tombe sous les balles du tireur. Rachid Aouame est témoin de la triste scène. Il croit être le prochain sur la liste.
Nizar Ghali et Aymen Derbali sont cachés derrière les colonnes. Ils sont horrifiés en observant les gestes du tireur. L’assaillant recharge son fusil et avance vers les hommes. Aymen Derbali se jette sur le tireur pour l’arrêter, mais il reçoit sept
balles, dont une dans le menton. Après son geste héroïque, son corps repose, inerte, au sol. Nizar, qui suivait Aymen, est touché également. Il saigne. Sa petite fille est témoin de cette sinistre scène.
Les fidèles pensent que leur dernière heure a sonné. Saïd est certain qu’il sera le prochain, comme ses frères avant lui. Il est visé, la balle sort du fusil et lui perce l’épaule.
Plusieurs personnes se tiennent à l’endroit où l’imam prononce son discours. Les balles fusent. Le sang coule. La vie prend fin pour Khaled Belkacemi, Aboubaker Thabti, Abdelkrim Hassane. Un dénommé Hakim se jette sur la fille de Nizar pour la protéger. Le tireur s’approche, il tire. Mais, son chargeur est vide, plus de balle. Les cris de détresse se font entendre.
Le tireur est calme. Il vise ses cibles. Il ne dit pas un mot. Il avance dans la Mosquée. Il aurait chargé son arme à trois reprises avant de quitter les lieux et s’enfoncer dans son véhicule.
Le président du Centre culturel islamique, Mohamed Yangui, est en route pour la mosquée qui se trouve à quatre minutes de chez lui. Il avait promis à Aboubaker Thabti qu’ils discuteraient ce soir. Dans sa voiture, il reçoit un appel de Mohamed Elhafidh, l’imam de la mosquée du centre-ville qui assistait à la prière. Il répond.
Dans l’urgence, M. Elhafidh lui mentionne qu’il y a eu une tuerie à la mosquée, qu’il y a des gens morts et blessés devant lui. Mohamed Yangui est sous le choc. Il ne comprend pas. Il arrive sur les lieux et on lui interdit l’accès. Déjà, il est bombardé de questions par les médias et la communauté. M. Yangui est en terrain inconnu. Qui est blessé ? Qui est mort ? Une tuerie, à Québec, vraiment ?
Xavier Gonthier-Blouin et son coéquipier Tommy Fraser viennent de prendre place à bord de leur ambulance. Ils sont à l’entrée du CHUL et se préparent à aller souper. Ils ont bientôt terminé leur quart de travail qui dure 12 heures. Des appels au 911 commencent à entrer.
Sur l’écran Tommy constate un événement avec plusieurs blessés par balles. Une fusillade peut-être. La carte d’appel indique un code 27, soit « plusieurs patients et blessés par arme ». L’écran indique qu’un individu est « entré avec un pistolet et tire sur des personnes ». Xavier pense que Tommy lui fait une blague. Mais, non. « Tabarouette, ç’a l’air d’être gros », lance-t-il. Les ambulanciers paramédicaux qui carburent à l’adrénaline se dirigent sur place.
Ils sont près des lieux et les deux amis connaissent le chemin le plus court pour s’y rendre. Ils ouvrent les gyrophares et font crier les sirènes, puis ils accélèrent. Ils dépassent même un autre véhicule d’ambulanciers paramédicaux. David Munger, le superviseur des deux hommes, reçoit également un appel lui confirmant la fusillade. Est-ce vrai? Cette fois, la réalité dépasse la fiction. Il embarque dans son véhicule de service puis fonce sur les lieux. L’adrénaline est à son maximum.
CONFUSION ET ÉTAT D’URGENCE
Les policiers du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) reçoivent un premier appel de détresse vers 19 h 54. Ils arrivent sur les lieux quatre minutes plus tard. En sortant du véhicule de patrouille, ils dégainent leur arme en direction de la menace. Pour le moment, ils ne savent toujours pas de quoi il est question et combien il y a de suspects.
« Surveille mes arrières », demande le policier Jonathan Filteau à son collègue Benoît Desrosiers. Ils enjambent les deux premières victimes qui sont au sol, entrent dans la grande salle de prière et remarquent deux autres corps. La tension est élevée. Il y a le froid, les cris et du sang. Les gens sont paniqués, mais calme en même temps. Qui est suspect ? Les policiers demandent aux victimes de lever les bras.
Un homme porte assistance à Aymen Derbali qui a reçu sept balles et qui respire encore. Ahmed Cheddadi est blessé à la jambe. Saïd El-Amari, un chauffeur chez Taxi Coop, est gravement blessé. Il a reçu une balle au ventre. L’imam désigné pour cette soirée, Nizar Ghali, a aussi été grièvement blessé. Même chose pour le coiffeur Mohamed Khabar. Saïd Akjour se couche au sol à la demande des policiers qui cherchent à comprendre. Saïd a une balle dans le bras, mais avec son manteau d’hiver, il est impossible d’observer sa blessure. Le tapis de la salle de prière est couvert de sang.
C’est la cohue. Le jeune Mohamed Belkhadir, qui est arrivé après la fusillade pour pelleter les entrées de la Mosquée, croit que le tireur revient en apercevant un homme armé. Il panique, alors qu’il s’agit d’un policier. Le voyant fuir, les agents suivent la trace de ce suspect. Il est arrêté et amené au poste afin d’être interrogé. Il sera libéré après avoir donné ses explications. Entre temps, des manoeuvres de réanimation sont effectuées sur Aymen Derbali. La surveillance policière est accrue près des mosquées de Québec. Un périmètre est établi. Il y a des agents armés partout. La nouvelle arrive dans les chaumières québécoises. C’est la peur et la consternation.
À l’extérieur, les proches des victimes arrivent sur les lieux après avoir été alertés. Certains verront la triste scène.
Un appel est fait au 9-1-1 à 20 h 11. Les policiers se rendent en direction de la bretelle menant au pont de l’Île d’Orléans.
Xavier et Tommy sont les premiers ambulanciers paramédicaux à arriver sur les lieux. Deux autres équipes arrivent au même moment. Ils y sont presque en même temps que les policiers. « Il y a plein de blessés », indique un agent de la paix.
« Est-ce que la zone est sécurisée ? » demande Xavier. Un policier dit oui. Un autre dit non. Avec 50 %, le risque est trop élevé. Y a-t-il encore un tireur ? Les ambulanciers refusent d’entrer pour l’instant, la menace étant peutêtre encore présente. Ils remettent deux brancards jaunes aux policiers afin qu’ils puissent commencer le travail. « Il peut
y avoir un tireur encore là-dedans », dit Xavier, qui craint également une bombe.
La tension est folle. Tout le monde est sur les nerfs. Du côté des policiers, ça court partout. C’est un peu le chaos et la confusion.
Chez lui, Pierre-Patrick Dupont reçoit un appel d’une superviseure des infirmières à l’hôpital Enfant-Jésus. Elle lui souligne qu’il pourrait y avoir une tuerie à Québec. Une infirmière a entendu l’information sur la radio d’un ambulancier. À cet instant, il devient le point de communication entre toutes les équipes des urgences du CHU.
Dans le département des chirurgies à l’Enfant-Jésus, l’information circule qu’entre 15 et 20 blessés atteints par balle vont arriver. Il y a deux spécialistes de garde ce soir-là.
Un membre du personnel prend le livre des procédures. Il commence les appels afin d’obtenir du renfort. Des premiers spécialistes sont dans l’impossibilité de se déplacer. Le temps presse. Du temps précieux que le personnel n’a pas. Les salles d’opération doivent être prêtes à accueillir les blessés. Il faut aussi préparer le matériel, les enveloppes de solutés et les doses de sang O négatif pour les transfusions.
Soudainement, des chirurgiens qui sont informés de la tuerie, dans les médias, décident d’offrir leur service volontairement. Ils se précipitent au travail. Tout le monde est bienvenu. La procédure est mise de côté, le gros bon sens et les décisions des intervenants sur place primeront.
À son chalet, le maire de Québec Régis Labeaume est informé de la situation, il saute dans son véhicule, cahier d’action pour la sécurité civile en main. Il en a toujours un chez lui et un dans la voiture.
Il fonce en direction du centre opérationnel d’urgence à Beauport. « Il faut travailler », se répète le maire. Les procédures d’urgences sont lancées.
Le cabinet du premier ministre est mis au fait des événements. Immédiatement, Philippe Couillard prend la décision de revenir à Québec. Un vol nolisé est mis à sa disposition.
Louiza Mohamed Saïd apprend qu’il y a eu une tuerie à la mosquée. Son mari et père de ses trois filles, Abdelkrim Hassane, était parti plus tôt au PEPS. Depuis, il n’a pas donné de nouvelles. C’est l’angoisse.
SCÈNE D’HORREUR
Le superviseur des ambulanciers paramédicaux David Munger arrive sur les lieux. Il rejoint ses premières équipes sur place, à une centaine de mètres de la porte d’entrée de la mosquée.
La décision a déjà été prise, c’est Xavier et Tommy qui seront responsables du tri une fois à l’intérieur. Ils devront y rester jusqu’à la fin. À ce moment, les policiers, qui semblent avoir repris le contrôle, reviennent avec une première victime couchée sur une civière. Il s’agit d’un code « Noir », selon les ambulanciers, même si le policier assure qu’il « respirait encore » plus tôt.
La victime, un Guinéen, est atteint à la tête. Il n’a plus de pouls. Sa dépouille est transportée par une équipe d’ambulanciers au Centre de cardiologie de Québec, où son décès est constaté. À cet instant, la voie est libre pour les autres équipes, car l’endroit est finalement sécurisé. Il est 20 h 10.
Xavier, Tommy et David entrent les premiers. Ils ne remarquent pas immédiatement qu’un corps est au sol à l’extérieur de la mosquée. Il s’agit d’un autre Guinéen. Ils croisent la deuxième civière qu’ils avaient laissée aux policiers quelques minutes plus tôt. Elle transporte Aymen Derbali. Il a les yeux ouverts, remarque David. Puis, Xavier voit le trou de balle au menton de l’homme.
Cette image est précise. Il réalise l’ampleur de la situation. Les intervenants coupent les vêtements de l’homme afin de vérifier où se trouvent ses blessures. M. Derbali saigne abondamment. En plus du menton, des balles sont entrées dans sa jambe, dans son thorax, dans le ventre et dans son bras. L’une des balles restera coincée dans sa moelle épinière. L’homme est pris en charge par une équipe d’ambulanciers.
Les ambulanciers sont dans la mosquée. À l’entrée, ils remarquent des dizaines de douilles au sol, peut-être une trentaine dans le même secteur. Ils voient également un homme inerte sur le plancher. Il est mort.
La mosquée est bondée. Les gens sont calmes, accroupis sur le tapis. Xavier et Tommy ont des feuilles autocollantes afin de trier les gens. « Vert » pour les personnes qui peuvent se déplacer. « Jaune» pour les blessés. « Rouge » pour les blessés graves dont la vie est en danger et «Noir » pour les personnes décédées. Ces codes sont universels dans le langage hospitalier. Ils doivent s’occuper de ceux qui sont vivants en premier.…
David Munger installe son centre de commandement à l’extérieur. Il réclame un autobus du RTC pour transporter les « Verts » en direction d’un centre hospitalier. Les policiers demandent la même chose pour les témoins. David voit alors une couverture de survie grise au sol. Il croit qu’il pourrait s’agir d’une victime à aider. Il soulève le drap et observe l’arme d’assaut du tireur. Les policiers l’avertissent immédiatement de reculer. « Si cette arme ne s’était pas enrayée, ça aurait été un carnage beaucoup plus gros », se dira, plus tard, l’ambulancier qui connaît bien les armes à feu.
Le paramédical Xavier Gonthier-Blouin ordonne à tout ceux qui peuvent venir vers lui de le faire. La grande majorité des gens se lèvent et se dirigent dans sa direction. Ils sont « verts ». C’est une bonne nouvelle. Ils iront se placer à droite de la salle, alignés au mur, où ils seront aussi fouillés.
Environ dix personnes se trouvent toujours au sol. Les « Noirs » sont identifiés. Pour la plupart, une seule balle aura été fatale. L’endroit visé par le tireur ne pardonne pas. Malheureusement, ils ne sont pas la priorité. Cinq « Rouges » sont sur place et il faut rapidement stopper les hémorragies et les transporter aux urgences.
L’un des blessés est couché sur une personne décédée, comme s’il avait voulu le protéger. À tour de rôle, les équipes s’occuperont des victimes. Les ambulanciers paramédicaux Sam et Guillaume prendront soin de Saïd. Ce dernier les trouve formidables. Ça le calme, alors qu’il est transporté à l’hôpital en raison de la balle prise dans son bras.
Par la porte de la mosquée réservée aux femmes, un homme gravement atteint à une jambe est amené à David qui est à l’extérieur du bâtiment. « Il a perdu beaucoup de sang », souligne l’agent à David Munger. Une veine importante semble avoir été touchée. Par chance, une équipe arrive au même moment et pourra amener l’homme à l’Enfant-Jésus.
Le Groupe tactique d’intervention appréhende un suspect près du pont de l’Île. Il est arrêté et remis aux agents Alain Bouchard et Frédéric Smith.
Le directeur des urgences du CHU Pierre-Patrick Dupont met les gaz vers le centre hospitalier. Il vit à Boischatel. En arrivant près du pont de l’Île, il y a un barrage, car un suspect est appréhendé par les policiers. Malgré ses explications, l’employé du MTQ qui contrôle la circulation refuse de le laisser passer, même s’il porte son dossard de la sécurité civile. Il devra contourner la scène et prendre un chemin plus long par la ville afin de se rendre à l’hôpital. Entre temps, il communique avec ses équipes et place sa stratégie d’intervention.
L’entourage du premier ministre Philippe Couillard est au boulot. Une cellule de crise est mise en place au cabinet. Les gens sont fébriles et sur le qui-vive. Même chose au ministère de la Sécurité publique. La rumeur parle de deux tireurs… Est-ce que la menace est terminée ?
LA LIGNE DE FRONT
Les ambulanciers Xavier et Tommy terminent de trier les gens. Dans le fond de la salle, il y a une petite pièce. À l’intérieur, des enfants et des femmes qui y sont cachés. Les yeux ronds. Ils sont figés, traumatisés. Par chance, ils ne sont pas blessés.
Tout près, des témoins soulignent qu’une des personnes qui a été identifiée « morte » au sol n’avait pas reçu de balle. « Il a eu un malaise, il s’est pris la poitrine », mentionne un témoin. Il n’y a pas de sang en apparence. Une équipe d’ambulanciers lui prodiguera deux décharges électriques afin de le réanimer, mais rien n’y fait. Une fois à l’hôpital, les médecins trouvent une balle dans le dos de la victime. Il est 20 h 26 et tous les blessés graves sont en route pour l’hôpital.
C’est à l’hôpital de l’Enfant-Jésus que les traumas « Rouges » sont envoyés par les ambulanciers paramédicaux. Là bas, l’urgentiste Marcel Hammond est le leader. Dans l’empressement, il s’est fait un dossard artisanal avec du ruban adhésif afin que toute l’équipe puisse s’y référer rapidement. Les gens sont nerveux avant l’arrivée des victimes. Néanmoins, sachant qu’il n’y a que cinq blessés, le « code orange » n’est jamais déployé. Tout le monde a en tête le « golden hour », ce qui signifie que les blessés graves ont une heure à partir de l’impact des balles avant d’aboutir en salle d’opération.
Plusieurs salles d’opération sont libérées. À l’urgence, les premiers survivants arrivent, le Dr Hammond et ses collègues redirigent les victimes rapidement vers les blocs opératoires, selon la gravité des cas. Ces décisions sont toujours difficiles à prendre.
SANG FROID
En direction de l’hôpital, le docteur Clément réfléchit à toute vitesse et espère que tout le monde pose les bons gestes. Chaque seconde compte dans ces moments particuliers. Durant ses huit années comme chirurgien dans les forces armées, dont trois missions en Afghanistan, Julien Clément a appris comment faire face à ces situations exceptionnelles, principalement lorsqu’il y a des polytraumas par projectile.
Dès son arrivée, il enfile son habit vert de chirurgien et va prêter main-forte à ses collègues. Au total, ils sont six chirurgiens généralistes en salle d’opération, sans compter les anesthésistes et les autres spécialistes, comme les chirurgiens orthopédistes. En premier lieu, ils doivent arrêter les saignements pour stabiliser les vies. Ensuite, ils devront réfléchir à retirer les balles et les sauver. Certains cas sont très graves. Ils pourraient en perdre. Chaque geste est précieux.
Kader Hassane dort paisiblement à Paris lorsqu’il reçoit un appel du Québec. Louiza Mohamed Saïd, la femme d’Abdelkrim Hassane, informe Kader que son frère était dans une mosquée lorsqu’il y a eu une tuerie. Elle espère encore avoir de ses nouvelles. Une heure plus tard, Kader apprend que son frère est décédé sous les balles du tireur.
OFFICIELLEMENT DÉCÉDÉS
Il est 21 h 15. À l’intérieur de la mosquée, le calme est de retour. Quatre corps inertes sont au sol. Ils ont tous été atteints à la tête. Les morts sont évidentes. Les ambulanciers Xavier et Tommy ont terminé, ils pourront retourner au garage, où l’on a prévu une réunion afin de faire le point et discuter de ce qu’ils ont vécu.
« Allez-vous transporter les corps? » demande un agent du SPVQ à David. La place de ces personnes n’est pas à l’hôpital. David contacte une centrale et parle à un médecin. Chaque victime a une carte d’identité sur elle. Ainsi, il est en mesure de constater les décès sur les lieux avant de rejoindre ses équipes à la centrale. Les quatorze « verts » qui n’ont pas encore été transportés à l’hôpital ou placés dans un autobus et qui ont besoin de soins mineurs sont témoins de cette triste scène. Il y a des enfants parmi eux. Des couvertures seront mises sur les victimes. Le coroner pourra disposer des corps au Laboratoire de médecine légale.
Ce n’est qu’à 21 h 45 que les gens ayant besoin de soins mineurs sont dirigés en autobus à l’hôpital Saint-François-d’Assise, à Limoilou.
Entre-temps, il y a de la confusion. Des familles sont dirigées vers le CHUL, car il s’agit de l’hôpital le plus près du drame. Cependant, aucun blessé n’y est transporté. Angoissées, certaines personnes attendent des nouvelles. D’autres, en larmes, sont escortées par des intervenants. L’ambiance est morbide. Des proches des victimes repartent bouleversés et secoués. Les médecins, les infirmières sont débordées, ils sont nerveux. Des policiers et des agents de sécurité sont là en renfort. La scène est émotive et intense.
En fin de soirée, Philippe Couillard atterrit à Québec. Il se réunit avec son équipe. Un sentiment de fatalité plane. C’est le désappointement. La notion d’urgence est forte. Il doit préparer une communication publique.
Après la fusillade, David Munger continue son quart de travail. Durant la nuit, il se retrouve dans l’appartement d’une dame qui fait une crise de panique, tout comme des ambulanciers et des policiers qui sont intervenus à la mosquée plus tôt. David essaie de calmer la dame, mais c’est impossible. Elle panique. Aux nouvelles, elle a vu l’attentat à la mosquée. Elle a peur pour sa vie et pour celle de ses proches qui vivent à l’île d’Orléans.
À LA RECHERCHE D’EXPLICATIONS
Il est presque une heure du matin le 30 janvier. Le premier ministre Philippe Couillard fait le point, aux côtés du maire de Québec, Régis Labeaume, et du ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux.
« Aujourd’hui, le Québec est frappé par le terrorisme », affirme M. Couillard. Déjà, le geste à caractère haineux est étudié. C’est la communauté musulmane entière de Québec qui est frappée de plein fouet. Le message d’ouverture doit être clair, il doit être inclusif. « Nous sommes avec vous. Vous êtes chez vous. Vous êtes bienvenus chez vous. Nous sommes tous des Québécois. Il faut qu’ensemble, on continue à bâtir une société ouverte, accueillante et pacifique », déclare le premier ministre.
Cette nuit-là, tous les blessés ont été sauvés. Les interventions chirurgicales ont été un succès. Mais six personnes ont perdu la vie sous les balles d’un tireur.
Au total, 17 orphelins. Cinq personnes ont été gravement blessées. Parmi elles, Aymen Derbali, qui ne pourra plus jamais marcher. Des dizaines d’autres gardent des séquelles psychologiques atroces.
Pour les victimes, le pire reste à venir. C’est le deuil d’un père. Ce sont des images d’horreur imprégnées à jamais dans la tête d’un enfant. C’est une réhabilitation interminable. C’est la peur. C’est un procès. C’est la honte. C’est la tristesse. Ce sont des préjugés.