« Le milieu stigmatise les étudiants »
Une mère dont la fille étudiante en médecine s’est enlevé la vie dénonce la culture de « la performance »
QUÉBEC | La mère d’une étudiante en médecine de Québec qui s’est suicidée lance un cri du coeur afin que cesse « la culture malsaine de la performance » dans les universités ainsi que dans le milieu de la santé.
« Ce chemin-là l’a amenée à se démolir. C’est vicieux », affirme en entrevue au Journal la mère éprouvée Mireille Racine, dans le cadre de la semaine de prévention du suicide.
Deux ans et neuf mois se sont écoulés depuis le suicide de sa fille, Anne-Sophie d’Amours. Toujours bouleversée, Mme Racine essaie de comprendre ce qui a pu mener sa brillante jeune fille à s’enlever la vie.
Le rapport du coroner rendu public cette semaine recommande à la faculté de médecine de l’Université Laval d’apporter plusieurs modifications à sa formation.
« C’est pénible… la lecture du rapport du coroner démontre comment l’anxiété de performance a mené Anne-Sophie à la paralysie, à ne pas faire confiance en son milieu et à l’étouffer dans le silence et la souffrance », indique, émue, Mme Racine.
Elle revient sur la crise qui sévit présentement en santé avec l’exemple des infirmières à bout de souffle et des médecins de famille qui sont étouffés par les quotas de patients.
« Le milieu est malade. Il faut que nos dirigeants aient le coeur à la vie », laisse-t-elle tomber, ajoutant que le milieu « stigmatise » les étudiants et les médecins.
POINT DE BASCULE
Anne-Sophie a réussi son baccalauréat avec mention. « J’ai reçu son diplôme par la poste après son suicide », a relaté Mme Racine, froissée par le geste.
C’est durant les stages que tout s’est détérioré. Dans deux de ses trois premières évaluations, elle a reçu une mention « limite », indiquant qu’elle devait gagner en vitesse.
Son évaluation mentionne également qu’elle est « perfectionniste » et « minutieuse ».
Mme Racine soutient que sa fille était « hantée » par la peur d’être exclue du programme de médecine. « Elle aimait prendre son temps et prendre soin des patients », a-t-elle raconté, soutenant qu’elle ne comptait pas ses heures afin de compléter plus de dossiers. Elle partait travailler à 5 h du matin et rentrait après 23 h.
Le maître de stage devait informer le directeur du programme afin qu’il puisse rassurer l’étudiante. Cependant, les semaines passaient et elle n’avait aucune nouvelle. « Elle a fait une psychose à cause de ça », croit Mme Racine.
« Ses pairs disent qu’il n’est pas bien vu de prendre des congés, de limiter ses heures de travail. Ce sont des perceptions ancrées. Compétition et performance obligent », a relaté Mme Racine. D’un côté, on lui disait qu’elle était trop lente et de l’autre qu’elle en faisait trop et qu’elle ne connaissait pas ses limites, relate Mme Racine. Elle était rongée par l’angoisse ».
« NOUS RÉINVENTER HUMAINEMENT »
Aujourd’hui, malgré les dommages collatéraux que le suicide de sa fille a causés (perte d’emploi, rupture, dépression), Mireille Racine souhaite parler par devoir de mémoire pour sa fille.
« Nous devons nous réinventer humainement. Mais surtout, parlons, car notre société perd sa richesse… elle perd ses humains ». Elle souhaite maintenant que l’Université Laval implante rapidement les recommandations du coroner.
« STIGMATE LA FRAGILITÉ, QUI HANTAIT C’EST UN ANNE- GROS SOPHIE ET QUI HANTE LES AUTRES ÉTUDIANTS EN MÉDECINE. C’EST UNE CULTURE DU SILENCE. IL FAUT QUE ÇA CHANGE. LA DOUCEUR, ÊTRE SENSIBLE, CE N’EST PAS DE LA FAIBLESSE. » – Mireille Racine, mère d’Anne-Sophie