Le Journal de Montreal

« Le milieu stigmatise les étudiants »

Une mère dont la fille étudiante en médecine s’est enlevé la vie dénonce la culture de « la performanc­e »

- NICOLAS LACHANCE

QUÉBEC | La mère d’une étudiante en médecine de Québec qui s’est suicidée lance un cri du coeur afin que cesse « la culture malsaine de la performanc­e » dans les université­s ainsi que dans le milieu de la santé.

« Ce chemin-là l’a amenée à se démolir. C’est vicieux », affirme en entrevue au Journal la mère éprouvée Mireille Racine, dans le cadre de la semaine de prévention du suicide.

Deux ans et neuf mois se sont écoulés depuis le suicide de sa fille, Anne-Sophie d’Amours. Toujours bouleversé­e, Mme Racine essaie de comprendre ce qui a pu mener sa brillante jeune fille à s’enlever la vie.

Le rapport du coroner rendu public cette semaine recommande à la faculté de médecine de l’Université Laval d’apporter plusieurs modificati­ons à sa formation.

« C’est pénible… la lecture du rapport du coroner démontre comment l’anxiété de performanc­e a mené Anne-Sophie à la paralysie, à ne pas faire confiance en son milieu et à l’étouffer dans le silence et la souffrance », indique, émue, Mme Racine.

Elle revient sur la crise qui sévit présenteme­nt en santé avec l’exemple des infirmière­s à bout de souffle et des médecins de famille qui sont étouffés par les quotas de patients.

« Le milieu est malade. Il faut que nos dirigeants aient le coeur à la vie », laisse-t-elle tomber, ajoutant que le milieu « stigmatise » les étudiants et les médecins.

POINT DE BASCULE

Anne-Sophie a réussi son baccalauré­at avec mention. « J’ai reçu son diplôme par la poste après son suicide », a relaté Mme Racine, froissée par le geste.

C’est durant les stages que tout s’est détérioré. Dans deux de ses trois premières évaluation­s, elle a reçu une mention « limite », indiquant qu’elle devait gagner en vitesse.

Son évaluation mentionne également qu’elle est « perfection­niste » et « minutieuse ».

Mme Racine soutient que sa fille était « hantée » par la peur d’être exclue du programme de médecine. « Elle aimait prendre son temps et prendre soin des patients », a-t-elle raconté, soutenant qu’elle ne comptait pas ses heures afin de compléter plus de dossiers. Elle partait travailler à 5 h du matin et rentrait après 23 h.

Le maître de stage devait informer le directeur du programme afin qu’il puisse rassurer l’étudiante. Cependant, les semaines passaient et elle n’avait aucune nouvelle. « Elle a fait une psychose à cause de ça », croit Mme Racine.

« Ses pairs disent qu’il n’est pas bien vu de prendre des congés, de limiter ses heures de travail. Ce sont des perception­s ancrées. Compétitio­n et performanc­e obligent », a relaté Mme Racine. D’un côté, on lui disait qu’elle était trop lente et de l’autre qu’elle en faisait trop et qu’elle ne connaissai­t pas ses limites, relate Mme Racine. Elle était rongée par l’angoisse ».

« NOUS RÉINVENTER HUMAINEMEN­T »

Aujourd’hui, malgré les dommages collatérau­x que le suicide de sa fille a causés (perte d’emploi, rupture, dépression), Mireille Racine souhaite parler par devoir de mémoire pour sa fille.

« Nous devons nous réinventer humainemen­t. Mais surtout, parlons, car notre société perd sa richesse… elle perd ses humains ». Elle souhaite maintenant que l’Université Laval implante rapidement les recommanda­tions du coroner.

« STIGMATE LA FRAGILITÉ, QUI HANTAIT C’EST UN ANNE- GROS SOPHIE ET QUI HANTE LES AUTRES ÉTUDIANTS EN MÉDECINE. C’EST UNE CULTURE DU SILENCE. IL FAUT QUE ÇA CHANGE. LA DOUCEUR, ÊTRE SENSIBLE, CE N’EST PAS DE LA FAIBLESSE. » – Mireille Racine, mère d’Anne-Sophie

 ?? PHOTOS ANNIE T. ROUSSEL ?? Mireille Racine compte sur la présence de son autre fille Raphaëlle D’Amours. Celle-ci est la joie de vivre de sa mère depuis le suicide d’Anne-Sophie (en médaillon).
PHOTOS ANNIE T. ROUSSEL Mireille Racine compte sur la présence de son autre fille Raphaëlle D’Amours. Celle-ci est la joie de vivre de sa mère depuis le suicide d’Anne-Sophie (en médaillon).

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