Le Journal de Montreal

La télé nous fait la morale

On a beaucoup parlé du viol collectif dans la série Fugueuse. La décision de montrer des scènes dignes de la porno illégale pour convaincre, par la peur, les adolescent­es de faire les bons choix dans la vie me rappelle que notre télévision aime surfer sur

- LISE RAVARY lise.ravary@quebecorme­dia.com

Sans jamais tomber dans le voyeurisme, bien sûr que non. C’est pour notre bien. Bien sûr que oui.

Ce n’est pas d’hier que les téléromans québécois nous font la morale au sujet des questions sociales de l’heure. Je me souviens d’un épisode de Rue des Pignons, le grand téléroman des années 60 et 70, qui montrait de manière caricatura­le les dangers du pot.

JUSQU’OÙ IRONS-NOUS ?

D’excellente­s études de notre fiction télévisuel­le ont été réalisées au fil des ans. Coller à notre réalité, raconter nos histoires ont toujours fait partie des ingrédient­s de leur succès. Je pense au film de Denys Arcand, Le crime d’Ovide

Plouffe, qui devait tout d’abord être une série, inspiré de l’affaire Albert Guay, condamné à mort en 1949 pour avoir fait exploser un avion dans lequel se trouvait sa femme pour réclamer l’assurance-vie.

Heureuseme­nt que des crimes aussi crapuleux sont assez rares chez nous, mais en cette époque de décrépitud­e morale, qu’allons-nous montrer après qu’on a montré un viol collectif ? Une scène de torture ? Une boucherie par un schizophrè­ne ? Un acte pédophile ?

Justement, parlons-en, de la pédophilie. Unité 9, ce lieu fictif où cohabitent toutes déviances féminines, a maintenant son personnage pédophile, Macha Vallières, jouée par Hélène Florent. Dire qu’elle est reçue à Liettevill­e avec une brique et un fanal relève de l’euphémisme. Sur les réseaux sociaux, des gens disaient vouloir la tuer.

Même le personnage qui a tué son enfant n’a pas eu droit à autant de haine.

SOUFFRIR POUR SE DIVERTIR

Pour tout vous dire, la réalité au quotidien est assez glauque comme ça.

Je n’ai pas très envie de me planter devant la télé pour regarder soir après soir des scènes qui feraient frémir, hurler ou pleurer dans la vraie vie.

Et surtout, je n’ai pas besoin d’un téléroman pour me faire dire – et montrer – que le suicide, le meurtre ou le viol, c’est mal.

La bonne télé américaine, elle, nous amène dans des univers différents, où des gestes condamnabl­es sont posés, certes, mais sans avoir l’impression qu’on veut nous mettre en garde contre un quelconque « péché ». Il faut voir la différence de ton entre Unité 9 et Orange is the new black sur Netflix. Les détenues de Litchfield rugissent, celles de Liettevill­e se lamentent.

House of Cards racontait une histoire terrible, mais jamais nous avions l’impression qu’on nous faisait la morale sur les vicissitud­es de la politique. C’était même jouissif. J’ai adoré la série Six feet under, dont l’action se passait dans une entreprise de pompes funèbres. Et même si Tony Soprano était un salaud de première classe, les auteurs lui avaient laissé un côté « papa a raison » sans être accusés de le rendre trop humain pour un tueur.

Allons-nous un jour nous libérer de cette manie de faire de la téléfictio­n à message ?

Le but de la télé n’est pas de ramener les ados dans le droit chemin, mais de divertir.

 ??  ?? Un scène de la série Fugueuse
Un scène de la série Fugueuse
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada