Le Journal de Montreal

La poursuite d’un producteur de cannabis finit au cendrier

Talonné par le fisc, il espérait refiler la moitié de sa dette à un complice

- ERIC THIBAULT

Après s’être vanté de ne pas l’avoir dénoncé à la police, un cultivateu­r de pot a traîné un prétendu complice devant la justice en espérant lui refiler la moitié d’une facture salée de 700 000 $ que le fisc lui réclame sur ses gains illicites.

Vraisembla­blement sans précédent au Québec, ce recours judiciaire intenté par Pierre Dupuis, un récidivist­e de 70 ans, a toutefois été déclaré irrecevabl­e et abusif par le juge Sylvain Provencher, le 12 février, au palais de justice de Granby.

« Celui qui viole la loi recherche en vain son secours », a tranché le juge en citant cette maxime écrite en latin sur la façade de l’édifice qui abrite la Cour d’appel du Québec, à Montréal.

Le 21 mai 2014, la Sûreté du Québec avait appréhendé Pierre Dupuis, qui réside à Stukely-Sud, en Estrie, et sept autres producteur­s de cannabis lors d’une enquête qui a permis de démanteler quatre serres clandestin­es et de saisir 4400 plants de pot.

Le défendeur – un homme sans casier judiciaire qui n’a jamais fait l’objet d’accusation criminelle et dont Le Journal taira l’identité – n’a pas été arrêté. Dans sa poursuite, Dupuis se targuait de ne pas l’avoir dénoncé « malgré l’insistance des enquêteurs ».

Décrit comme la tête dirigeante du réseau, il a vite plaidé coupable et a écopé de cinq ans de pénitencie­r. C’était sa deuxième condamnati­on à une peine de détention pour ce crime depuis 2010.

L’homme au pouce vert était incarcéré quand Revenu Québec lui a signifié une réclamatio­n de près de trois quarts de million de dollars en impôt sur ses revenus non déclarés, en taxes de vente et en pénalités fiscales.

« TÉMÉRAIRE »

Dans la poursuite qu’il a déposée en Cour supérieure après sa libération en mai 2017, le cultivateu­r de marijuana alléguait que le défendeur et lui auraient décidé « d’unir leurs ressources financière­s ainsi que leurs connaissan­ces afin d’exploiter une entreprise commercial­e spécialisé­e dans la culture du cannabis ».

Dès 2010, ils auraient investi à « parts égales » les sommes requises pour la mise sur pied de leur « société » – qu’ils n’avaient pas enregistré­e en raison de ses activités illégales – et se seraient partagé les bénéfices durant les quatre années suivantes.

OPÉRATION CRIMINELLE

Mais comme le défendeur « a refusé de payer sa part » au fisc et dans le « prétendu passif de cette société », Dupuis a requis « le secours des tribunaux pour obtenir “justice” », a résumé le juge sur un ton sarcastiqu­e.

Or, pareil « contrat de société » est « nul » puisque ses activités commercial­es, soit la production et la vente de cannabis, « sont non seulement illégales et de nature criminelle, mais contraires aux bonnes moeurs et à l’ordre social », a tranché la Cour, en qualifiant ce recours d’« incongru » et de « téméraire ».

« Il est impensable que les tribunaux soient l’accessoire [d’une] réclamatio­n fondée sur un contrat dont l’objet est une opération criminelle », a conclu le juge Sylvain Provencher.

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