Le Journal de Montreal

Dépannage obligatoir­e à l’école

La pénurie de suppléants force les enseignant­s qui ont déjà une classe à faire du remplaceme­nt

- DOMINIQUE SCALI

Cours moins bien préparés, enfants stressés par la succession de remplaçant­s, surcharge de travail. Des enseignant­s qui doivent régulièrem­ent faire du « dépannage obligatoir­e » pour pallier la pénurie de profs en plus de gérer leur propre classe lancent un cri d’alarme.

Presque tous les matins, Claudine Malouin se croise les doigts quand elle entre à l’école.

« Il ne faut pas qu’il y ait du dépannage obligatoir­e aujourd’hui. Faut pas, faut pas, faut pas », se répète-t-elle.

Trois enseignant­es du primaire de la Commission scolaire des Trois-Lacs, qui couvre notamment Vaudreuil-Dorion en Montérégie, ont accepté de témoigner du manque de personnel qui force les profs à faire du temps supplément­aire et les maintient dans un cercle vicieux d’épuisement (voir autres textes).

Cette pénurie se traduit non seulement par des difficulté­s à recruter des enseignant­s qualifiés, mais aussi des suppléants, explique Josée Scalabrini, de la Fédération des syndicats de l’enseigneme­nt, qui représente plus de 65 000 professeur­s à travers la province.

« Les banques de suppléants sont vides. Cette année, c’est pire que jamais. On reçoit des appels de partout : Gaspésie, Lanaudière, etc. »

PAS DE SUPPLÉANTS

Il arrive donc qu’une école n’ait trouvé personne pour assurer un remplaceme­nt de dernière minute et se tourne vers les enseignant­s réguliers pour effectuer du « dépannage ». Ceux-ci vont remplacer pendant que leurs propres élèves suivent des cours d’éducation physique ou de musique, par exemple.

Les enseignant­s doivent donc gruger dans le temps qui sert à planifier leurs cours, corriger, appeler des parents ou encore à rencontrer les profession­nels de l’école.

Les profs rencontrée­s ont beau être habituées à apporter du travail à la maison, la charge de travail faite en dehors de l’école augmente.

« Mes enfants, mon conjoint, tout le monde écope », résume Julie Fournier.

Le système de dépannage était autrefois utilisé de façon exceptionn­elle. « Mais là, c’est rendu quotidien », remarque-t-elle.

Une école de la Montérégie a même eu recours à cette solution plus d’un jour sur trois entre octobre et février, illustre un document obtenu par Le Journal.

« C’est rendu que je planifie des cours en fonction du dépannage. Je vais prévoir quelque chose qui demande moins de planificat­ion, que je peux organiser rapidement, au lieu de choisir l’activité la plus pédagogiqu­e pour mes élèves », dit Julie Fournier.

GÊNÉS D’ÊTRE MALADES

Les trois enseignant­es avouent se sentir coupables de ne pouvoir pas toujours donner le meilleur à leurs élèves par manque de temps.

Le sentiment de culpabilit­é ne s’arrête pas là : les profs qui tombent malades s’en veulent aussi, sachant le stress qu’ils causent à leurs collègues.

« Il y en a qui sont gênés de prendre congé, vont s’excuser sur les réseaux sociaux. Certains vont attendre jusqu’à avoir un diagnostic médical », abonde la prof Chantal Lauzon.

Elles n’en veulent pas à leur direction ni à leur commission scolaire. « On voit qu’ils essaient des choses, mais le problème est au-dessus d’eux », remarque Mme Malouin.

 ?? PHOTO DOMINIQUE SCALI ?? Chantal Lauzon (gauche), Claudine Malouin (centre) et Julie Fournier (droite) travaillen­t dans trois écoles différente­s de la région de Vaudreuil-Dorion. Elles ont préféré taire le nom de leur école pour ne pas nuire à leurs élèves.
PHOTO DOMINIQUE SCALI Chantal Lauzon (gauche), Claudine Malouin (centre) et Julie Fournier (droite) travaillen­t dans trois écoles différente­s de la région de Vaudreuil-Dorion. Elles ont préféré taire le nom de leur école pour ne pas nuire à leurs élèves.

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