Elle a élevé trois enfants alors qu’elle gagnait 9 $ l’heure
Cette mère monoparentale s’est endettée avec sa carte de crédit pour acheter de la nourriture
« Durant les mois qui étaient plus durs à arrondir, mon patron me faisait un crédit sur du pain, du lait, du jus, du beurre, juste pour finir la semaine avec les lunchs des enfants. Surtout après la séparation, j’en ai eu besoin », se souvient Denise Marchand, qui a élevé trois enfants au salaire minimum.
Mme Marchand a appris à se débrouiller avec un budget limité pour nourrir sa fille et ses deux garçons, qui ont aujourd’hui 26, 23 et 19 ans.
« Une chance qu’il y avait les allocations familiales », soupire la femme de 47 ans, qui ignore comment elle s’en serait sortie sans ce filet social.
Le Journal a demandé à une famille aisée de vivre l’expérience de se nourrir comme si les deux parents étaient au salaire minimum durant le mois de février. Leur récit a été publié samedi et hier.
Mme Marchand, elle, vit tous les jours cette réalité. Elle travaille depuis 13 ans dans un dépanneur dans le quartier Centre-Sud à Montréal et vit dans une habitation à loyer modique située tout près.
« Je n’ai jamais eu rien de neuf chez moi. Tous les meubles et électroménagers ont été donnés par de la famille, des amis, ou trouvés usagés. Les vêtements, je les trouvais à l’organisme Saint-Vincent-de-Paul », souligne-t-elle.
CALCULS ET COUPONS
Mme Marchand a commencé à travailler au dépanneur un an avant de se séparer de son conjoint, elle qui était auparavant mère au foyer. Après la rupture, elle s’est retrouvée seule pour élever sa marmaille.
« Pour faire l’épicerie, tu calcules, tu “couponnes”. Je faisais et je fais encore plusieurs épiceries, mais je ne pouvais pas aller trop loin, car je prenais l’autobus pour y aller et un taxi pour revenir. Il fallait vraiment que ça en vaille la dépense », raconte-t-elle.
Heureusement, son père était boucher. Il a donc fourni la famille en viande pendant plusieurs années.
« Quand il a arrêté parce qu’il était malade, on a vu la différence. Mon fils me demandait si on pouvait manger du steak, je lui disais : c’est 10 $ de steak mon grand, on est trois, ça fait 30 $. On va prendre la livre de boeuf haché à la place », se désole Mme Marchand.
« ON MANGEAIT MAL »
Mme Marchand gagnait environ 9 $ l’heure lorsqu’elle a commencé au dépanneur, soit environ 1,40 $ de plus que le salaire minimum de l’époque.
Celui-ci l’a cependant rattrapée rapidement. Les seules augmentations qu’elle a eues depuis ce temps sont celles octroyées par le gouvernement à travers les années.
Aujourd’hui, elle gagne 12,15 $ comme assistante-gérante alors que le salaire minimum augmentera à 12 $ en mai prochain (elle devrait cependant avoir une augmentation aussi).
Mme Marchand se félicite d’avoir toujours réussi à mettre de la nourriture sur la table et d’avoir pu s’assurer que tout le monde mangeait à sa faim. Elle ne peut pas en dire autant de la qualité de ce qu’elle servait.
« On mangeait mal pour ce qui est des nutriments. Des patates frites régulières, c’est 1,99 $ et ça bourre. Avec une petite sauce et fromage râpé, tu viens de faire une poutine, si tu mets de la sauce à spaghetti, ça te fait un autre repas », cite-t-elle en exemple.
ENDETTÉE
Les paquets de croquettes de poulet et gros sacs de pogos à 10 $ chez Super C remplissaient son congélateur, de même que les gros paquets de boeuf haché format familial, qui lui permettait de faire de la sauce à spaghetti qui se transformait aussi en lasagne. La sole congelée en sac était le seul poisson accessible.
Avec sa situation financière précaire, elle s’est endettée au fil des années.
« Ma carte de crédit est loadée à 14 000 $, encore aujourd’hui, majoritairement en bouffe. Il m’arrivait de me payer un petit luxe de temps en temps, un parfum, un veston. Un moment donné faut que tu vives, tu ne peux pas en arracher tout le temps », soupire-t-elle.
Maintenant que ses enfants sont grands, Mme Marchand fait des études en comptabilité, après avoir terminé son secondaire 5 en trois ans.
« Ce n’était pas possible quand les enfants étaient jeunes parce que je ne pouvais pas diminuer mes heures de travail pour aller à l’école, mais c’est même eux qui m’ont poussé à le faire. J’ai fait mon stage final à SaintVincent-de-Paul, j’avais envie de redonner », souligne-t-elle.