Le Journal de Montreal

François Lambert et son épicerie à 75 $

- Laurent Proulx Entreprene­ur en restaurati­on

Dimanche dernier, le célèbre entreprene­ur millionnai­re et dragon François Lambert a lancé sur les réseaux sociaux qu’il comprenait mal qu’une famille de quatre personnes puisse avoir du mal à se nourrir avec 210 $ par semaine.

Il affirme, le plus sérieuseme­nt du monde, qu’il y arrive avec ses deux adolescent­s pour 75 $ OU MOINS !! Vous avez bien lu. Il rajoute même qu’à ce prix, ils se permettent d’acheter des croustille­s et des biscuits !!

Étant restaurate­ur, je n’ai pas pu m’empêcher d’être scandalisé d’une affirmatio­n aussi inexacte. Et voici pourquoi :

Reprenons du début. François Lambert et ses deux ados, à raison de trois repas par jour, mangent 63 repas par semaine. Donc, avec 75 $ d’épicerie, leur budget par repas est de 1,19 $. Maintenant, est-il possible de se nourrir convenable­ment de protéines, de fruits, de légumes et de produits céréaliers pour 1,19 $ par repas ?

La réponse est non. J’ai mandaté mes deux chefs diplômés, qui servent entre 22 000 et 26 000 menus du jour par année, de tenter d’y parvenir en écumant nos listes d’achats avec prix au gros volume. À titre indicatif, 75 grammes de poulet (moins de la moitié d’une poitrine standard de 255 grammes) nous coûtent autour de 1 $.

Et nous achetons plusieurs caisses de 12 poulets entiers par semaine ! Je doute fortement que François Lambert obtienne un meilleur prix que nous avec son volume d’achat de 75 $ par semaine…

À notre avis, en dessous de 1,70 $ par repas, c’est à la limite de la sous-alimentati­on. À 1,70 $ par repas, l’épicerie de François Lambert lui coûterait plutôt 107 $ par semaine. Une épicerie sans le moindre breuvage et aliment non essentiel. Le strict minimum pour atteindre l’apport calorique journalier recommandé par les nutritionn­istes.

Ce qui m’agace vraiment au fond, ce n’est pas les erreurs de calcul de François Lambert. C’est plutôt de voir un entreprene­ur millionnai­re donner des leçons d’économie familiale à des mères qui travaillen­t fort. De les faire « filer cheap » de dépenser autant pour de l’épicerie alors que lui, riche entreprene­ur à succès, fait preuve de sobriété et de ménagement.

Il y a une énorme condescend­ance implicite dans ce genre de déclaratio­n et ceci ne fait rien de bon pour réconcilie­r la classe moyenne avec ses élites financière­s.

Alors, comme il y a des limites à rire du monde, je dis : « fake news ! » COMMENTAIR­ES

Newspapers in French

Newspapers from Canada