L’énorme défi d’une suite à Fugueuse
Il y a longtemps qu’une de nos séries de télévision n’avait pas remué autant de téléspectateurs.
Fugueuse a provoqué dans les foyers et sur les réseaux sociaux un vrai débat de société. Pour une fois, ceux-ci n’ont pas été récupérés par les persifleurs, les frustrés et les cracheurs d’insultes.
Dans sa chronique d’hier, ma collègue Sophie Durocher n’a écrit que du bien de Fugueuse. Je partage tous ses éloges. J’aurais tenu les mêmes si elle ne l’avait pas fait avant moi. Fugueuse devrait clouer le bec de ceux – ils sont nombreux – qui n’ont toujours que du mal à dire de notre télévision.
La série devrait aussi faire taire les pourfendeurs de la télévision privée. Quant à moi, celle-ci n’a pas grand-chose à envier à la télévision publique, si ce n’est le budget dont Radio-Canada dispose. Fugueuse a brassé la cage des bien-pensants, jeté une lumière crue sur la situation de nombreuses adolescentes qui tombent entre les pattes des proxénètes et des vendeurs de drogues.
DES SOUVENIRS DOULOUREUX
La série a fait réfléchir des milliers de parents et réveillé chez plusieurs des souvenirs douloureux. Plus d’une image m’a rappelé les dangers qu’a courus, il n’y a pas si longtemps, l’une de mes propres petites-filles. Les dialogues de la série semblaient sortis tout droit des conversations anxieuses que j’ai eues avec ses parents, morts d’inquiétude et stupéfiés de leur impuissance. Comme les parents de Fanny.
Comment Michelle Allen a-t-elle atteint cette vérité ? Une vérité encore amplifiée par la réalisation sobre et intelligente d’Éric Tessier. Depuis Souvenirs intimes, le film de Jean Beaudin, et Polytechnique de Denis Villeneuve, jamais les images de Pierre Gill ne m’ont semblé aussi sensibles que dans Fugueuse. C’est presque un miracle si lui et Tessier ont réussi à donner une facture de long métrage à une série de télé produite en vitesse avec un budget modeste.
LA BARRE ÉTAIT HAUTE
Quel que soit l’apport de l’équipe de création de TVA et de celle d’Encore, la société de production de François Rozon, c’est à l’auteure Michelle Allen que revient le plus grand mérite. Après des études en médecine qu’elle a failli terminer, Michelle a passé trois ans au Conservatoire d’art dramatique. Elle voulait d’abord être comédienne, mais sa curiosité naturelle et son esprit passionné l’ont finalement poussée vers l’écriture.
Son orientation définitive nous a privés d’une bonne actrice, mais elle nous a donné une dramaturge fort douée dont Fugueuse est la meilleure oeuvre télévisuelle jusqu’ici. La barre était haute puisque Michèle est aussi l’auteure de Pour Sarah et de longues séries comme Diva et Destinées. Comment diable pourra-t-elle aller plus loin avec
Fugueuse dont TVA a déjà annoncé une deuxième saison ? Le risque est presque démesuré. Si Michelle Allen relève le défi, elle aura toute mon admiration et sûrement celle de ceux qui sont encore sous le choc de la série qui vient de prendre fin.
TOUT N’EST PAS PERDU
Mardi, j’ai déploré les faibles cotes d’écoute qu’avaient obtenues Anne et Alias Grace à la CBC. Heureusement, tout n’est pas perdu pour ces deux merveilleuses séries. Elles sont maintenant sur Netflix dans 190 pays. Le Canada compris, à partir du 25 mars pour Alias Grace.
Souhaitons que les étrangers soient plus réceptifs que nos anglos !