Le Journal de Montreal

Glisser peu à peu dans un gouffre

- LOUISE DESCHÂTELE­TS louise.deschatele­ts@quebecorme­dia.com

Je m’occupe de ma vieille mère malade depuis huit ans tout en poursuivan­t mon travail dans un hôpital. Elle n’a personne d’autre que moi sur qui compter. J’habite avec elle, car financière­ment elle ne pouvait plus subvenir à ses besoins. En dehors de mon temps de travail, je suis donc tout le temps à ses côtés. Ce qui me coupe de tout.

J’aime ma mère plus que tout, mais j’arrive à un point de saturation où c’est ma santé qui décline à cause du régime que cette tâche m’impose et qui diminue mes forces. Le CLSC me donne bien quelques heures d’aide par semaine, mais j’aurais besoin de plus, sans oser le demander. Sérieuseme­nt, d’ailleurs, je me demande s’ils accepterai­ent une telle demande?

Je culpabilis­e énormément de me sentir comme je me sens, mais je n’en puis plus. J’ai 55 ans, et je me sens comme un vieux de 90. J’ai de plus en plus de mal à me lever le matin pour aller travailler, et quand j’ai un jour de repos, je traîne au lit ou devant la télé tant que ma mère ne m’a pas appelée à son chevet.

Je m’en veux de lui donner aussi peu, mais la vie avec quelqu’un qui perd peu à peu la raison n’est pas très stimulante, et ça commence à jouer sur mon propre moral. J’ai consulté mon médecin de famille il y a plus d’un an de ça, et il m’avait programmé une rencontre avec une psychologu­e. Il me disait alors que la mélancolie dans laquelle je m’enfermais n’avait rien de bon, ni pour moi ni pour ma mère, qui ne pouvait pas se passer de moi.

Mais j’ai raté ce rendez-vous, et depuis, je n’ai pas osé aller le revoir pour qu’on m’en fixe un autre, tellement j’ai honte d’avoir raté le premier. Et toute ma vie est comme ça. J’oublie tout, comme si je voulais faire équipe avec ma mère. Heureuseme­nt que je suis encore alerte à mon travail.

Pensez-vous qu’à force de vivre dans un univers clos, avec quelqu’un qui frôle la démence, ça commencera­it à déteindre sur moi ? Je n’ai personne à qui me confier, alors c’est très dur de vivre avec le nez toujours collé sur un problème qu’on ne peut ni résoudre ni fuir. D’ailleurs, aurais-je même le courage de fuir ?

Un homme à bout

Vous êtes un super beau cas de cordonnier mal chaussé. Mais de grâce, reprenez vos esprits et faites quelque chose pour vous si vous ne voulez pas crever sur place en abandonnan­t votre mère à elle-même. Elle a besoin de vous et elle a besoin de vous en santé, pas dans l’état d’un mort vivant. Je ne veux pas vous traumatise­r encore plus avec ma brusquerie, mais il faut absolument que je vous fasse réagir.

Vous n’êtes pas le premier patient à rater un rendez-vous médical, surtout en psychologi­e. Très souvent, les patients sont résistants à aller raconter leurs peines et reculent devant l’échéance du premier rendez-vous. Il faut reprendre l’opération du début en appelant votre médecin. Les médecins et les psychologu­es ne sont pas dans le jugement, ils sont partie prenante de la relation d’aide au patient.

Vous devez aussi vous renseigner à propos des organismes d’entraide existants pour vous procurer des plages de détente dans vos horaires. Vous ne pouvez pas continuer à ce rythme sans frapper un mur qui priverait possibleme­nt votre mère de la totalité de votre présence. Y avezvous pensé ?

En terminant, je vous enjoins également de voir avec votre médecin si vous ne seriez pas en dépression. Ce que vous me décrivez de vos états d’âme tend à m’y faire croire. En fonction de l’avancement de l’état de votre mère, il est aussi possible de commencer à envisager un placement. De cela aussi vous devriez en discuter avec son équipe soignante.

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