QUÉBEC PAIE 8 M$ POUR UN PROJET MINIER INCERTAIN
Le gouvernement a payé le gros prix pour sortir une minière torontoise de l’impasse avec les Algonquins
Québec a payé 8 M$ pour racheter des droits miniers à une société d’exploration sans avoir la preuve que le terrain où ils se trouvent cache quoi que ce soit d’intéressant.
La compagnie Copper One, qui a empoché le magot, n’a même jamais réalisé un seul forage sur le site de l’Abitibi pour prouver son potentiel minier.
En fait, elle n’a fait aucun travail sur ce terrain, racheté à une minière junior.
Les millions versés par Québec sont un baume pour Copper One, qui tentait depuis six ans de travailler dans ce territoire revendiqué par les autochtones, qui s’opposent à l’exploration minière.
Les Algonquins de Lac-Barrière menaçaient de dresser un barrage afin d’empêcher Copper One de se rendre sur sa propriété de Rivière Doré, dans la réserve faunique La Vérendrye.
Pour sortir de l’impasse, la société a fait appel à deux ex-libéraux devenus lobbyistes ainsi qu’à l’ancien ministre fédéral libéral Pierre Pettigrew (lire encadré ci-contre en page 4).
« C’EST SURPRENANT »
En fin d’année 2017, Québec a fini par acheter la paix avec les autochtones, à grands frais. Selon le dernier rapport annuel de Copper One, ses claims (droits miniers) valaient 854 996 $, soit près de 10 fois moins que les 8 M$ que le gouvernement lui a versés.
« Avec les données disponibles, ça paraît surévalué, dit Michel Jebrak, spécialiste de l’exploration minière à l’Université du Québec à Montréal. Je ne sais pas comment ils ont évalué ça, mais tout le monde vous dira que c’est surprenant dans l’industrie. »
L’un de ses collègues universitaires, qui préfère garder l’anonymat, est d’accord.
« Les indices que je vois dans le rapport sont intéressants, mais c’est rien pour justifier un prix de 8 M$. »
En entrevue avec notre Bureau d’enquête, le PDG Scott Moore n’en démord pourtant pas : sa société aurait préféré faire ses forages plutôt que de toucher l’argent de Québec.
« Nous avons eu beaucoup moins que ce que ça vaut vraiment », dit-il.
Il affirme que sa firme a dépensé 14 M$ dans ce projet minier, mais aucun document public ne le démontre.
« ENTENTE CONFIDENTIELLE »
Au cabinet du ministre des Ressources naturelles Pierre Moreau, l’attachée de presse n’a aucune explication à partager avec le public.
« Le gouvernement régularise, par la voie de la négociation, une situation d’exception avec une entente confidentielle », écrit son attachée de presse Catherine Poulin.
Copper One est sous le contrôle de la puissante banque d’affaires du magnat des mines Stan Bharti, à Toronto. Avant de s’entendre avec Québec, la compagnie avait déposé en février 2017 deux poursuites pour forcer le gouvernement à la laisser faire ses travaux d’exploration, comme le prévoit la Loi sur les mines pour des claims dûment enregistrés.
EX-LIBÉRAUX À LA RESCOUSSE
À l’automne dernier, Copper One et Québec ont cependant commencé à négocier hors cour. Pour faciliter ses discussions avec le gouvernement, la minière a embauché un lobbyiste aux multiples connexions libérales : Martin Daraiche (voir texte en page 4), du cabinet National.
Scott Moore est clair sur le mandat que Copper One a alors confié à National.
« Ils avaient leurs contacts au gouvernement. Je ne sais pas qui ils ont rencontré exactement, ça m’importait peu à l’époque, dit-il. Le but était d’obtenir le plus d’argent possible de cette situation. »
De son côté, Martin Daraiche assure qu’il n’avait pas le mandat de négocier directement le prix de 8 M$ avec le gouvernement pour le transfert des claims, mais il confirme avoir participé aux discussions avec Québec pour « trouver une porte de sortie », ce qui a mené à des « pourparlers ».
« C’est ce qui a mené à des discussions sur le décret qui a ultimement été adopté », dit le lobbyiste.
Pierre Pettigrew est aussi intervenu dans les discussions. L’ancien ministre libéral fédéral travaille depuis 2008 avec le magnat des mines qui contrôle Copper One, Stan Bharti. En 2014, la direction lui a demandé d’intervenir comme « conseiller stratégique au CA » de la société.
Selon Scott Moore, il devait « tenter de trouver un arrangement » avec les Algonquins de Lac-Barrière, qui refusent toute activité minière sur le territoire qu’ils réclament autour de la propriété Rivière Doré.
« Je ne sais pas s’il les a finalement rencontrés, dit-il. Nous avons essayé différentes avenues pour convaincre les Algonquins. »
Ces déclarations n’ébranlent pas le chef du village de Lac-Barrière, Casey Ratt.
« Ça sera dévastateur pour la communauté s’il finit par avoir une mine dans la zone », insiste-t-il.
Joint par téléphone, Pierre Pettigrew a exigé de recevoir nos questions par courriel. Il assure n’avoir eu « aucune communication ni directe ni indirecte » avec les autochtones.
L’ancien ministre n’a pas expliqué exactement en quoi consistait son rôle de conseiller au CA de Copper One.
Pierre Pettigrew a été actionnaire de la société minière jusqu’en février 2017.