Le Journal de Montreal

La « cheese week » ou la bêtise de l’anglomanie

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Blogueur au Journal Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com @mbockcote

Ainsi, la Cheese Week s’amène à Québec. Les gourmands se réjouissen­t : qu’une vie sans fromage serait triste ! Vaudrait-elle même la peine d’être vécue ? Ici, il y a consensus. Mais ceux qui pleurent, ce sont les francophon­es, lorsqu’ils se demandent d’où vient cette étrange manie d’angliciser tout ce qui ressemble de près ou de loin à un événement mondain. Estce que le fromage risque d’avoir moins bon goût si on le nomme en français ? Estce que le camembert manquera de charme ? Estce que le vieux cantal sera dégradé en triste P’tit Québec ?

FROMAGE

On pourrait se poser la même question pour la poutine week, qu’on ne parvient apparemmen­t pas à appeler la semaine de la poutine.

D’où vient notre difficulté à nommer le monde dans notre propre langue ? D’où vient cette idée que la langue française serait ringarde ? Fautil y voir une simple mode un peu idiote, comme il y en a tant et comme il y en a toujours eu ?

Ou fautil y voir plutôt une autre manifestat­ion de notre colonisati­on mentale, de notre conviction de plus en plus intime que ce qui est français est inférieur, et que ce qui est dynamique, tendance, désirable, excitant, appétissan­t, éblouissan­t est anglais ?

Le français serait la langue de la tendresse familiale, et l’anglais celle de la modernité. S’ils s’en convainque­nt vraiment, les Québécois en viendront à se dire qu’ils doivent vraiment se déculturer pour s’ouvrir sur le monde.

Cette tendance est généralisé­e. Alors qu’ils disposent, pour le meilleur et pour le pire, d’un patrimoine de jurons impression­nant, qui va du câlisse au tabarnak, en passant par le ciboire, le sacrament, le criss, l’hostie et le baptême, et tant d’autres mots un peu moins redevables à notre histoire religieuse, ils sont de plus en plus nombreux, surtout dans la jeune génération, à remplacer ces termes par le terne « fuckin », qui manque à la fois de charme et de nuances !

Il y a quelques années, c’était même la mode pour une jeune personne de demander à ses amis de lui envoyer du « love », comme si l’amour, l’affection ou la tendresse ne voulaient plus rien dire ! Sans faire trop d’efforts, on pourrait trouver d’autres expression­s du même genre.

Estce à dire qu’il faut s’interdire tous les mots anglais ? Pas nécessaire­ment. Une langue se réinvente en empruntant des mots aux autres langues, évidemment. Mais lorsqu’elle se met paresseuse­ment à la remorque d’une autre, elle s’assèche.

ANGLICISAT­ION

Mais peutêtre ne fautil pas être surpris. Une langue est aussi un marqueur de statut social et politique.

Dans un Québec de plus en plus dédaigneux de sa propre identité, de sa propre culture, de sa propre histoire et de son propre avenir politique, fautil se surprendre que l’anglais remplace peu à peu le français ? Le français régresse parce que le peuple québécois est aujourd’hui engagé sur le chemin de l’assimilati­on tranquille. Vae victis, comme on dit en latin.

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Le fromage serait-il moins bon si on le nommait en français ?

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