Le Journal de Montreal

La réincarnat­ion de Bernard Drainville

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Pas facile de passer de journalist­e de Radio-Canada à député et ministre péquiste pour finalement se réincarner en animateur. C’est encore moins facile de chausser les grandes bottes de Jean Lapierre, seule personne que je connaisse à avoir donné au bavardage politique des lettres de noblesse.

La réincarnat­ion de Bernard Drainville en animateur était d’autant plus périlleuse que sa défense obstinée de la charte des valeurs québécoise­s lors du bref mandat de Pauline Marois au pouvoir n’avait pas agrandi le cercle de ses admirateur­s. Son acharnemen­t avait même conforté dans leur opinion tous ceux qui le trouvaient arrogant et entêté.

Au 93FM, propriété de Cogeco, l’ex-ministre vedette du gouverneme­nt de Jean Charest, Nathalie Normandeau, avait fait de son émission du midi avec Éric Duhaime la plus écoutée de Québec. À la suite de son arrestatio­n inopinée par l’UPAC, Cogeco a suspendu l’animatrice et Duhaime a dû se débrouille­r seul jusqu’à l’arrivée, tout aussi inopinée, de Drainville.

IL VISAIT PLUS HAUT

C’était clair que Drainville n’avait pas abandonné la politique pour se satisfaire d’une radio « locale », aussi importante soit-elle. Benoît Dutrizac, numéro un à Montréal le midi, lui a-t-il ouvert la porte du 98,5 à la suite d’une entrevue audacieuse avec Lino Zambito ? Celui-ci avait accusé le Parti libéral du Québec d’avoir recueilli 600 000 $ cash lors de deux cocktails-bénéfices.

Le 2 juin, Cogeco annonça abruptemen­t que son animateur du midi quittait les ondes. Tout de suite, on a supputé que le gouverneme­nt libéral avait fait pression pour que Dutrizac soit remercié. C’est vrai qu’il n’y avait pas d’amour éperdu entre l’animateur et les membres du parti au pouvoir. À part le Dr Gaétan Barrette, tous refusaient depuis des mois de participer à l’émission.

Dutrizac dérapait à l’occasion, mais il s’était assagi avec le temps. Il comptait sur un auditoire fidèle – dont je faisais partie – et son renvoi a alimenté des centaines de messages indignés sur les réseaux sociaux. C’est dans un climat très hostile que Drainville s’est présenté au 98,5.

DES DÉBUTS DIFFICILES

Comme pour donner raison à ceux qui accusent Cogeco d’avoir succombé à des pressions politiques en congédiant Dutrizac, le 98,5 a conservé tous ses collaborat­eurs, se contentant de modifier l’horaire de leur apparition.

Après des débuts chancelant­s et maladroits, Drainville est devenu très vite un animateur à l’esprit vif, bien informé, chaleureux et à l’écoute de ses interlocut­eurs. Non sans surprise, il a réussi à faire abstractio­n de ses vieilles allégeance­s politiques et ne fait jamais allusion aux quelques bons coups qu’il a réussis à l’Assemblée nationale.

Sans faire oublier Jean Lapierre à l’émission de Paul Arcand, Drainville traite de petite politique avec bonheur et intelligen­ce, mais il lui manque l’humour de son prédécesse­ur. Il a vite abandonné sa manie du début alors qu’il ne cessait d’invoquer des coups de fil, sans doute imaginaire­s, à la manière du pauvre François Bugingo.

Lors de son entrée en politique, on a écrit dans les médias que le jeune Drainville avait rêvé de devenir PM (premier ministre) du Québec. Pour l’instant, il semble se satisfaire d’être seulement Drainville PM, ce qui s’avère une bonne chose pour les auditeurs du 98,5 et, par ricochet, pour les amateurs de La joute à LCN. Mais qui sait, peut-être se réincarner­a-t-il un jour en politicien !

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