Le Journal de Montreal

Le Hells Angel qui a profité de sa deuxième chance

Des motards, dont le délateur vedette de l’opération SharQc, avaient fait creuser un trou pour enterrer Stéphane Maheu parce qu’il avait tiré des coups de feu en leur direction

- ERIC THIBAULT

Les Hells Angels du Québec n’auraient jamais été arrêtés d’un seul coup dans l’opération SharQc, en 2009, si le gang s’était débarrassé d’un jeune trafiquant culotté qui avait osé tirer des coups de .12 en direction de trois de ses membres.

C’est ce qu’a certifié l’ex-Hells Angel Sylvain Boulanger aux enquêteurs de la Sûreté du Québec, le 6 décembre 2006, en leur relatant comment son complot visant à éliminer son ancien employé Stéphane Maheu a avorté.

« Je ne serais pas assis ici avec vous autres s’il était mort parce que je serais encore dans les Hells Angels, a dit le délateur de l’opération SharQc aux policiers dans ses confession­s auxquelles Le Journal a eu accès. C’est aussi simple que ça. Son trou était déjà creusé... »

PÉCHÉ MORTEL

Maheu a plutôt été promu membre en règle du gang, au grand dam de Boulanger, et il est devenu un rouage important des Hells. Il a été la cible d’une perquisiti­on liée à une vaste enquête antidrogue, au début de la semaine dernière.

Boulanger, qui a revêtu les couleurs des Hells du chapitre de Sherbrooke pendant 12 ans, a été nommé membre « full patch » en 1993 et avait la responsabi­lité du marché des stupéfiant­s dans la région de Granby.

Peu après sa graduation, il a été avisé qu’un de ses vendeurs de cocaïne, Stéphane Maheu, ne s’approvisio­nnait pas uniquement des Hells, ce qui était considéré comme un péché mortel à l’époque où la bande était dirigée par Maurice « Mom » Boucher.

Maheu se serait justifié en disant à un subalterne de Boulanger que la « coke » fournie par les Hells n’était tout simplement « pas bonne » et que les motards « coupaient » trop la drogue pour pouvoir maximiser leurs profits.

Il en avait de la « meilleure » à moindre coût d’un « gros trafiquant » indépendan­t, Mario Roy, qui sera d’ailleurs tué de trois balles dans la tête quelques années plus tard.

DISCUSSION ORAGEUSE

Boulanger a décidé de rendre visite à Maheu, pour l’avertir de ne plus faire affaire avec des « intrus ».

Il était accompagné des futurs Hells Angels Sylvain « 20-20 » Vachon et Michel « Ti-Buck » Vallières quand le trio s’est rendu passer ce message au domicile de Maheu, à Roxton Pond.

« Y a pas eu d’entente, a résumé Boulanger. En quittant les lieux, Maheu est sorti avec un .12 et il a tiré dans le banc de neige, en direction de notre véhicule, comme pour nous faire peur. »

En beau fusil, les trois motards sont aussitôt retournés au local des Hells à Lennoxvill­e, où Boulanger aurait raconté l’incident au président du club, Guy « Malin » Rodrigue.

UN PLAT QUI SE MANGE FROID

Selon Boulanger, le « boss » lui aurait dit de « régler ses affaires ». Toutefois, si Boulanger songeait à une solution radicale, il s’est fait conseiller d’« attendre une couple d’années » pour mettre sa cible « en confiance ». Ainsi, la victime « ne se méfie pas » quand arrive le moment de la vengeance.

Entre-temps, Maheu aurait ensuite fait savoir à Boulanger qu’il ne « voulait pas de trouble » et qu’il allait obtempérer. Boulanger a alors décidé de le prendre « sous son aile » comme trafiquant, pour le mettre « bien en confiance ».

Les années ont passé. Après la crise du verglas de 1998, Boulanger a relaté qu’il avait planifié d’éliminer Maheu avec l’aide de deux autres motards.

À l’époque, les Hells avaient loué un chalet à Bromont qui leur servait de lieu de rendez-vous à l’époque où ils menaient une guerre meurtrière contre les Rock Machine. Boulanger et des confrères auraient décidé d’attirer Maheu dans un guet-apens, non loin du chalet, sur une portion isolée de la rue des Métis.

Le délateur a déclaré qu’il avait chargé un complice d’aller creuser un trou en bordure du chemin de terre pour être prêt à y enterrer Maheu après l’avoir abattu. Mais le trou n’a jamais servi.

TAUPES CORROMPUES

Boulanger, qui était alors « sergent d’armes » de la division des Hells de Sherbrooke, a finalement fait volte-face en apprenant que d’autres Hells étaient au courant de son plan.

Certains avaient dit tout haut que Maheu n’était « pas si pire que ça », qu’il ne méritait pas un tel sort et qu’il rendait « bien des services » à la bande.

Pendant la guerre des motards, Stéphane

Maheu aurait notamment fait bénéficier les Hells de renseignem­ents confidenti­els sur des ennemis à abattre en soudoyant une employée de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et un gardien de prison.

Maheu refilait ces tuyaux à Boulanger, qui était l’un des responsabl­es du « renseignem­ent » des Hells durant leur guerre meurtrière contre les Rock Machine, à la fin des années 1990.

« Ç’a servi à localiser des ennemis. Des fois, je voyais que, oups ! y en a un qui se faisait descendre… »

L’employée qui avait accès aux registres informatis­és de la SAAQ était « la soeur d’un des chums » de Maheu. « Ç’a duré pendant au moins un an. On lui amenait un numéro de plaque, elle pitonnait ça à la SAAQ, ça donnait le nom, l’adresse… Elle a fini par se faire mettre dehors », a dit le délateur.

DE NOUVEAUX ALLIÉS

Quant à l’agent correction­nel, il informait les Hells pour payer « une grosse dette » que son fils cocaïnoman­e avait contractée.

« On a décidé de pas le tuer, a raconté Boulanger à la SQ. C’est moi qui ai décidé ça pis c’est vrai, je l’ai réengagé. J’ai dit : “Câlisse, OK, je vais y laisser une chance”. J’ai fait une erreur pis ça s’est reviré contre moi. »

Devenu membre du défunt club-école Evil Ones, Stéphane Maheu en aurait ensuite profité pour se faire des alliés plus influents que Boulanger au sein du gang, notamment des Hells Angels impliqués dans l’importatio­n et la revente de cocaïne.

Sans demander l’avis de Boulanger, des membres des chapitres South et Trois-Rivières ont envoyé Maheu agir comme émissaire en République dominicain­e pour y préparer la fondation d’une première section des Hells Angels dans ce pays d’Amérique du Sud, à partir de 2002. Maheu y a notamment acheté une école de plongée sous-marine à Sosua.

En 2003, les policiers québécois l’ont vu à Berthiervi­lle lors d’un rassemblem­ent de motocyclis­tes alors qu’il arborait une veste à l’effigie des Los Barracos, le gang de motards qui allait former le premier

chapitre dominicain officiel des Hells.

DERNIÈRE CHICANE

Boulanger a toutefois retardé la percée des Hells en République dominicain­e puisqu’il a d’abord convaincu ses confrères de Sherbrooke et de Québec de s’opposer à cette expansion.

Pour lui, il était « impensable » que ce projet soit mené par un trafiquant ayant déjà tiré en direction de membres des Hells. Il était faroucheme­nt opposé à l’éventualit­é que Maheu soit promu membre du gang en guise de récompense pour l’implantati­on de cette succursale visant à faciliter l’envoi de cocaïne au Québec.

Les Hells ont fini par accuser Boulanger de « nuire à la bonne entente » entre les sections québécoise­s du club de motards. Un vétéran membre de Sherbrooke lui a même confié que la division South aurait eu l’intention de « passer » Boulanger parce qu’il retardait leur projet. Le 15 novembre 2005, Boulanger a pris sa retraite du club.

ENCORE VISÉ PAR LA POLICE

En fin de compte, les Hells Angels ont fondé leur division dominicain­e en 2008. Et la même année, Stéphane Maheu recevait ses « patches » de membre de la division South.

Arrêté en 2009 dans l’opération SharQc comme tous ses confrères, Maheu s’est reconnu coupable de complot pour meurtres. Il est libre depuis l’automne 2016.

Mardi, l’Escouade de répression contre le crime organisé (ENRCO) a fouillé sa maison de Roxton Pond lors d’une perquisiti­on liée au projet d’enquête antidrogue Objection.

Bien qu’aucune accusation ne pèse contre eux, Maheu et une demi-douzaine d’autres membres de la bande sont soupçonnés de jouer un rôle dans un lucratif réseau de trafic de cocaïne et de méthamphét­amine.

En 2014, Maheu, 47 ans, a nargué la police en affichant sur sa page Facebook la carte du jeu de Monopoly permettant de sortir de prison. Reste à voir si la chance le suivra.

« ON A DÉCIDÉ DE PAS LE TUER. J’AI DIT : “CÂLISSE, OK, JE VAIS Y LAISSER UNE CHANCE”. PIS ÇA S’EST REVIRÉ CONTRE MOI. »

– L’ex-Hells Angel Sylvain Boulanger

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Le Vieux Nid Les décombres du bar de danseuses criminel qui a Condor, au lendemain d’un incendie Canton-de-Granby. fait deux victimes, le 2 juin 1994, à incriminé dans ses Bien que le délateur Boulanger l’ait Maheu n’a pas été déclaratio­ns aux...
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Sur la photo du haut, on aperçoit le bar dont profitaien­t les Hells de la division South, dont Stéphane Maheu, dans leur ancien bunker à Longueuil. Sur celle du bas, on voit que les Hells de la division South ont réaménagé un bar à l’intérieur de leur...

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