Le Journal de Montreal

Non au budget « provincial »

Budget « provincial », politique « provincial­e », la « province de Québec », la « belle province », la province par-ci, la province par-là.

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

On assiste actuelleme­nt à un retour à la dénominati­on du Québec, son gouverneme­nt, son État, son territoire, son statut, comme « province » ; même de la part de ceux qui, il y a 25 ou 30 ans, n’auraient pas utilisé ce mot. C’est pour moi déplorable.

« Mais c’est ce qu’on est ! », diront plusieurs. Bien sûr. Parfois, c’est incontourn­able.

Mais recommence­r à nous qualifier de « province » systématiq­uement, ça relève du choix politique, même inconscien­t.

C’est en tout cas renoncer à près de 60 ans d’efforts pour voir et concevoir le Québec comme une nation d’abord et avant tout, possédant son État, peu importe qu’il ne soit pas souverain. Pour le dire comme Robert Bourassa : une « province pas comme les autres ».

LANDRY ET LESAGE

Lorsque je m’amuse à provoquer le débat sur la question, on me répond souvent que c’est une toquade de souveraini­ste.

Certes, le chef péquiste Bernard Landry a été un des plus farouches contempteu­rs du terme, y rattachant une étymologie honteuse : du latin « provincere » ; il signifiera­it au fond un lieu pour les vaincus. (Certains remettent cette interpréta­tion en question.)

« Je n’aime pas du tout le mot “province” ni la chose », lançait-il en chambre le 16 avril 1985. « Mon action politique jusqu’à ce jour, et dans […] les années qui vont suivre, va consister justement à ce que l’on se débarrasse le plus rapidement possible et du mot et de la chose. »

Mais le déboulonna­ge du mot « province » avait commencé bien avant. En fait, au début de la Révolution tranquille. C’est un chef libéral, Jean Lesage lui-même qui, un des premiers, a proposé de changer de vocabulair­e pour parler du Québec. Il préférait État du Québec à province.

« Quand je parle de l’État du Québec, ce n’est pas pour soutenir que le Canada serait composé de neuf provinces plus un État. C’est pour affirmer plus fortement encore […] la personnali­té du Québec », déclarait-il en 1963.

Sans adopter systématiq­uement le vocable d’« État du Québec », les chefs libéraux jusqu’à nos jours, ont toujours préféré parler du « Québec » tout court, du gouverneme­nt du Québec ; ont évité la « province ». L’administra­tion québécoise et même les médias avaient pris l’habitude d’en réduire l’usage. Dans les années 1960, à plusieurs endroits, on a substitué des termes qui référaient au statut provincial par le terme « national ». C’est pourquoi on a une Assemblée « nationale » ; des Archives nationales, etc.

UNE CERTAINE IDÉE

Malgré la reconnaiss­ance par la Chambre des communes en 2006 que « les Québécoise­s et les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni », la re-provincial­isation des esprits semble s’accélérer. On aperçoit le mot province dans des communiqué­s. De jeunes souveraini­stes l’utilisent même.

Même la vieille expression « La belle province » pour désigner le Québec fait un retour en force dans nos médias. Il n’y avait jadis que les journalist­es français pour utiliser cette phrase touristiqu­e qui enjoliva, avant 1978, nos plaques d’immatricul­ation. Avant le puissant « Je me souviens ».

Difficile de ne pas conclure que c’est une certaine idée du Québec qui se perd.

C’est un chef libéral, Jean Lesage qui, un des premiers, a proposé de réduire l’usage du mot province.

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