La charité pour un réseau en déroute
Nous en sommes rendus là. À accepter que, malgré les milliards de nos impôts injectés en santé, les infirmières, déjà surchargées de travail, doivent organiser des campagnes de financement pour doter les hôpitaux d’équipements de base.
Des infirmières de l’Hôtel-Dieu de Québec ont récemment amassé plus de 27 000 $ en vendant notamment des boîtes de mouchoirs et des vêtements pour acheter un équipement dont elles ont besoin afin de donner des services décents.
Pas un instrument ultra sophistiqué et coûteux comme ceux payés par les fondations des hôpitaux.
Non, juste des appareils fixes pour prendre les signes vitaux dans les chambres des patients. Elles ont agi de leur propre chef avec l’aide de la fondation de l’hôpital.
Pourquoi ? Parce que les pauvres qui courent d’un malade à l’autre pendant leurs doubles quarts de travail obligatoires en ont assez d’avoir en plus à chercher et à transporter les appareils mobiles, souvent défectueux.
La direction du CHU a rétorqué que le nombre d’outils disponibles était jugé suffisant.
Ah ! Est-ce que quelqu’un est assez imbécile pour croire que les infirmières perdraient leur précieux temps à mettre sur pied un kiosque de vente si le matériel à leur disposition « faisait la job » ?
On me dit que celles qui se sont impliquées dans ce projet en retirent une certaine fierté. Loin de moi l’idée de les blâmer, elles se débrouillent et s’investissent, ultimement, pour le bien des patients.
Mais que l’on soit rendu là, quand on y pense deux secondes, c’est complètement fou.
NORMAL ?
Pas du tout ébranlé, le ministre de la Santé a plus ou moins haussé les épaules lorsqu’il a été informé de l’initiative locale.
« Ça se fait depuis des années et ç’a toujours existé », a laissé tomber Gaétan Barrette.
Pourtant, une vérification dans quelques syndicats locaux laisse croire le contraire.
« Des infirmières qui se cotisent pour payer des décorations lors d’une fête, ou qui participent à une collecte menée par une fondation, oui. Mais, pour acheter des équipements de base, ça s’est très peu vu et c’est plutôt étrange », a résumé une source.
On imaginerait mal des chauffeurs d’autobus vendre des babioles pour financer le remplacement de bancs usés des véhicules des sociétés de transport.
Cette année, les dépenses en santé atteignent 43 milliards de dollars, soit 43 pour cent de l’ensemble des dépenses de missions de l’État de 99 milliards de dollars.
IL FAUDRA QUOI ?
Et les directions d’hôpitaux n’arrivent pas à payer ce type de matériel ?
Il faudra quoi à l’avenir ? Que les infirmières vendent des calendriers de photos sexy, comme les pompiers ? Que les préposés organisent des soirées de danse en ligne ? Des soupers spaghetti ? On pourrait vendre des muffins au cannabis faits maison, lorsque ce sera légal...
« L’Hôtel-Dieu devrait être gêné. Ça fait broche à foin », a lancé une source d’expérience du réseau.
Les infirmières sont bien intentionnées et ont du mérite.
Mais si personne ne réagit, cela renforce l’idée qu’il est normal de payer encore de nos poches pour compenser la désuétude d’un réseau gavé de milliards.