Le Journal de Montreal

SACRIFIÉ POUR AVOIR REFUSÉ DE MENTIR

Testament politique choc de Jacques Daoust

- Jean-François Cloutier JFCloutier­JDM 438.395.8175 jean-francois.cloutier @quebecorme­dia.com

Dans un document inédit, l’ex-ministre de l’Économie affirme avoir payé le prix pour son refus d’endosser son gouverneme­nt dans la vente controvers­ée de Rona.

L’ancien ministre de l’Économie du Québec Jacques Daoust est resté hanté jusqu’à sa mort par l’affaire de la vente des actions de Rona parce qu’il estimait avoir été piégé par son propre gouverneme­nt pour son refus de « mentir ».

Jacques Daoust était furieux qu’on lui demande de dire publiqueme­nt qu’il était d’accord avec cette vente d’actions par Investisse­ment Québec, alors qu’il ne l’était absolument pas. Les actions ont éventuelle­ment abouti dans les mains d’intérêts américains.

Décédé soudaineme­nt l’été dernier, l’ex-ministre Daoust a longuement mûri l’affaire Rona après son départ de la politique, au point de miner sa santé.

L’ancien ministre libéral était tellement frustré par cette transactio­n controvers­ée qu’il a mis ses souvenirs par écrit dans un document qu’il a laissé à des conseiller­s politiques, un peu en guise de testament, quelques mois avant sa mort. Notre Bureau d’enquête a pu le consulter.

M. Daoust ne s’en cache pas : il n’a jamais été favorable à la vente des actions de Rona par Investisse­ment Québec (IQ). Il ne voulait d’ailleurs pas autoriser cette transactio­n.

C’est pourquoi il estime s’être fait carrément jouer dans le dos par son personnel politique, en particulie­r son chef de cabinet qui a autorisé la vente sans lui en parler.

PAS QUESTION DE MENTIR

Dans son document, Jacques Daoust écrit s’être ensuite senti sous forte pression pour qu’il assume cette « mauvaise décision » prise dans son dos.

Il aurait été beaucoup plus facile de « mentir », écrit-il, et de dire qu’il avait approuvé la vente.

L’affaire Rona lui a fait perdre le sommeil pour la première fois de sa vie. Il était persuadé que cela aurait aussi provoqué chez lui une première attaque de coeur, alors qu’il était toujours en politique, soit un an avant son décès.

Profondéme­nt déçu, il était même convaincu qu’il serait resté ministre s’il avait accepté de mentir et de prendre le blâme pour cette transactio­n.

« Jacques Daoust ne ment pas, peu importe le prix à payer », écrit-il.

L’ex-banquier devenu politicien se nomme en effet par son propre nom dans ce document qui emprunte la forme et le style officiels d’un procès-verbal.

« C’est la véritable raison pour laquelle il a démissionn­é », ajoute-t-il, toujours en parlant de sa personne.

Ce document a pu être authentifi­é par notre Bureau d’enquête auprès de sources fiables.

CONTENTIEU­X MAJEUR

Jacques Daoust estime qu’il n’était plus dans les bonnes grâces du cabinet du premier ministre Couillard.

« La présence de Jacques Daoust dérangeait au bureau du premier ministre, écritil, car il avait l’indépendan­ce intellectu­elle et financière pour leur tenir tête. »

Il ajoute que ses critiques sur le Bureau d’audiences publiques sur l’environne-

ment (BAPE) étaient aussi « un contentieu­x majeur » étant donné le « penchant environnem­entaliste du PM » (le premier ministre Couillard).

Il écrit aussi que le bureau du premier ministre le considérai­t depuis longtemps comme un « problème ». Son refus d’accepter de prendre la responsabi­lité pour la transactio­n de Rona a été la goutte qui a fait déborder le vase.

« L’arrivée de Dominique Anglade, malgré son inexpérien­ce [...] a donné un outil au bureau du PM pour tasser Jacques Daoust du ministère de l’Économie », écrit-il.

PROMESSES NON TENUES

Muté au ministère des Transports « malgré des assurances contraires dans les semaines qui ont précédé », écrit-il, et « d’autres promesses qui lui ont été faites et qui n’ont pas été tenues », il dit ensuite avoir été bafoué par son gouverneme­nt dans le dossier Uber.

« Le bureau du premier ministre appuyait l’aile “jeunesse” du parti dans son support à Uber malgré le fait que cette entreprise se foutait de nos lois et opérait en toute illégalité », écrit-il.

L’ex-ministre des Transports Robert Poëti et lui partageaie­nt la même vision dans ce dossier, poursuit-il.

« Robert Poëti et Jacques Daoust étaient des problèmes qui menaçaient l’harmonie dans le parti et il fallait régler cela, quel qu’en soit le prix à payer. »

L’AFFAIRE RONA

Dans la saga Rona, Jacques Daoust dit s’être fait piéger par un jeu de coulisses entre son directeur de cabinet, Pierre Ouellet, et une personne ayant plus d’autorité qu’un ministre comme lui... « Jean-Louis Dufresne ? », se questionne-t-il, en pointant en direction du chef de cabinet de l’époque du premier ministre Philippe Couillard.

Celui-ci est parti dans la controvers­e en septembre, tandis que Ouellet est devenu conseiller au Centre de recherche industriel­le du Québec (CRIQ).

C’est son directeur de cabinet, Pierre Ouellet (que le cabinet Couillard lui avait d’ailleurs imposé à sa nomination comme ministre de l’Économie) qui a communiqué directemen­t cette autorisati­on de vendre Rona aux dirigeants d’Investisse­ment Québec, et ce, en répondant un simple « OK » par courriel.

« Le ministre était [...] choqué de la décision [d’IQ] et a [...] affirmé qu’il n’était pas d’accord, que c’était une mauvaise décision », écrit-il. M. Daoust ajoute qu’il n’a jamais su avec certitude de qui son attaché Ouellet avait obtenu la permission de répondre « OK ».

« Qui donc avait plus d’autorité que son ministre et qui pouvait lui permettre de dire, malgré tout, un “OK” qui a tout déclenché ? », se demande Jacques Daoust dans son document.

Ce dernier ne répond pas à la question directemen­t par écrit, mais une source bien informée de l’existence de ce document a assuré à notre Bureau d’enquête que Jacques Daoust était convaincu que l’autorisati­on finale est venue du bureau du premier ministre Couillard.

– Avec Alexandre Robillard

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PHOTO D’ARCHIVES, LE JOURNAL DE QUÉBEC, SIMON CLARK

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