Le Journal de Montreal

Des gens qui n’ont aucun désir sexuel

À 17 ans, Julien Séré croyait être gai. « C’était clair que les filles ne m’excitaient pas, donc je me suis dit que je devais préférer les garçons. » Ce n’était là que la moitié de l’équation. Des année plus tard, il a compris qu’il était plutôt asexuel.

- ÉTIENNE PARÉ

« Un asexuel est une personne qui ne ressent aucun désir sexuel pour quiconque », selon la définition de l’Associatio­n pour la Visibilité Asexuelle (AVA). Il est important de ne pas confondre asexuel et asexué. Julien n’est ni castrat ni eunuque. Il est un être sexué avec tout ce que ça implique.

Il lui est même déjà arrivé de se masturber. « Quand j’étais plus jeune, ça m’est déjà arrivé. Avec le recul, je me rends compte que je le faisais bien moins souvent que les autres. Je me masturbais par curiosité et non par désir », se souvient le quadragéna­ire, en entrevue avec Tabloïd.

Il a parlé de son asexualité à son entourage pour la première fois il y a à peine trois ans.

AIMER SANS DÉSIRER

Des garçons, Julien en aura bel et bien aimé quelques-uns au cours de sa vie. Sous ses grandes lunettes rondes, ses yeux brillent encore quand il parle de son premier chum, rencontré au cégep.

Sans doute l’aimait-il, mais il ne le désirait pas. « J’avais des papillons dans le ventre, j’avais envie de le coller, de l’embrasser, mais jamais de faire l’amour avec lui. Je m’inventais des raisons pour ne pas coucher avec. Et quand j’acquiesçai­s, j’avais juste hâte que ça finisse », se remémore Julien, qui parle de l’acte sexuel avec le même entrain que d’un rendez-vous chez le dentiste.

Son absence de libido aura finalement raison de sa relation amoureuse, comme de toutes celles qui suivront.

Jamais Julien n’a eu envie de faire l’amour avec qui que ce soit. « J’ai été abstinent pendant 10 ans et ça ne me manquait pas. Je peux compter sur mes doigts le nombre de fois où je l’ai fait dans les six dernières années. Chaque fois, j’aimais vraiment le gars, mais je ne ressentais aucun plaisir », raconte-t-il aujourd’hui sans complexe.

Il n’a pas toujours parlé aussi franchemen­t de sa (non) sexualité. Avant, il n’osait raconter que des bribes de ses expérience­s à ses proches, de peur qu’on ne le comprenne pas.

« C’est parce que tu n’as pas encore connu le bon », lui répétaient sans cesse ses amis après chacune de ses ruptures. Au fond, Julien savait que c’était beaucoup plus que ça, mais il n’arrivait pas à trouver les mots justes pour leur répondre.

UNE ORIENTATIO­N ENCORE MÉCONNUE

Asexuel. C’est dans les pages d’un magazine féminin que Julien lira pour la première fois le mot qui changera sa vie. « J’ai compris que je n’étais pas malade. J’avais le droit d’être comme ça. »

L’asexualité est une orientatio­n sexuelle à part entière, comme l’homo et l’hétérosexu­alité, insiste Léa Serra Vandekerck­hove, doctorante en sexologie à l’UQAM, qui fait partie des rares universita­ires à s’intéresser à cette question.

« L’absence de désir sexuel peut arriver à tout le monde. La différence, c’est que pour les asexuels, ce n’est pas passager. On naît asexuel. Ce n’est pas une maladie. Ce n’est pas un traumatism­e non plus », assure-t-elle.

« On remarque que beaucoup d’asexuels sont mal aiguillés au sein du corps médical. Ils vont consulter parce qu’ils pensent qu’ils ont un problème hormonal ou psychologi­que, mais il y a très peu de spécialist­es qui sont capables de leur dire qu’ils sont normaux. Ils ne connaissen­t pas l’asexualité. »

« L’ABSENCE DE DÉSIR SEXUEL PEUT ARRIVER À TOUT LE MONDE. LA DIFFÉRENCE, C’EST QUE POUR LES ASEXUELS, CE N’EST PAS PASSAGER. ON NAÎT ASEXUEL. CE N’EST PAS UNE MALADIE. CE N’EST PAS UN TRAUMATISM­E NON PLUS » – Léa Serra Vandekerck­hove, doctorante en sexologie à l’UQAM

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Isabelle Stephen a fondé la Communauté asexuelle de Montréal à la fin 2016

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