Le Journal de Montreal

La ridicule bombe nucléaire du barreau

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Le Barreau du Québec et son chapitre de Montréal veulent bilinguise­r l’ensemble des travaux parlementa­ires de l’Assemblée nationale.

Et pour forcer les choses, l’ordre profession­nel des avocats brandit l’arme nucléaire juridique.

Dans sa requête déposée il y a une semaine en Cour supérieure, il réclame sérieuseme­nt (à son paragraphe 58) que le tribunal déclare TOUTES les lois, TOUS les règlements et TOUS les décrets adoptés par le Parlement du Québec et le gouverneme­nt du Québec « inconstitu­tionnels, nuls, inopérants et sans effet dans leur entièreté ». BOUM!

(En passant, si c’était le cas, la Loi sur le Barreau deviendrai­t nulle. Et le barreau n’aurait donc plus d’existence légale !)

L’ARTICLE 133

Pour quelle raison faudrait-il anéantir ainsi les règlements et lois du Québec ? Parce que, prétend le barreau, un article de la Constituti­on (l’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e, l’AANB) dit qu’à l’Assemblée nationale, il faut « imprimer » et « publier » les documents juridiques en français et en anglais.

« Imprimer » et « publier » ; pas plus. Or, cela se fait déjà : tous les textes émanant de l’Assemblée nationale ont deux versions.

En 1977, la loi 101 avait simplifié les choses en établissan­t que seule la version française était officielle. L’anglaise existait, mais n’avait pas force de loi.

Rapidement – ce fut un des premiers trous dans la loi 101 –, la Cour suprême du Dominion décida dans sa sagesse que cet article 133, même s’il ne le spécifiait pas explicitem­ent, commandait que les deux versions, française et anglaise, aient force de loi.

UN VRAI PROBLÈME

Le problème auquel le barreau veut s’attaquer en découle : il y a parfois des divergence­s, voire des contradict­ions, entre les textes anglais et français émanant de l’Assemblée nationale.

Dans une telle situation, avocats et juges, paraît-il, ne savent pas sur quel pied linguistiq­ue danser. Réel problème, qui pourrait facilement être réglé grâce à un meilleur processus de traduction.

Mais pour le barreau, cela ne suffit pas : pour éviter ce type de problème, il faudrait désormais que TOUS les travaux parlementa­ires se fassent TOUJOURS dans les deux langues. Que les deux versions soient écrites en même temps, comme au Nouveau-Brunswick.

Et tant pis pour les élus québécois peu ou pas à l’aise en anglais ! Tant pis aussi pour un des seuls Parlements en Amérique – sinon le seul – où on légifère véritablem­ent en français…

REVENIR À LA LOI 101

Une solution plus simple serait de revenir au texte initial de la loi 101 : au Québec, seul le texte français aurait force de loi. Une interpréta­tion raisonnabl­e de l’article 133 pourrait le permettre. Surtout depuis la reconnaiss­ance du Québec comme nation de 2006.

« Quel mépris pour les anglophone­s du Québec ! » diront certains. Un instant, voyez ce que nous apprend le ministère de la Justice du Canada, sur son site : « La présente version française de la Loi constituti­onnelle de 1867 n’est qu’une traduction donnée à titre documentai­re. Elle n’a pas force de loi. » Eh oui ! l’Acte de l’AANB – dont le fameux article chéri du barreau, le 133 – n’a même pas de version française officielle ! Pourtant, la promesse d’en adopter une « sans délai » est constituti­onnalisée à l’article 55 du texte paraphé par la reine en 1982.

Pourtant, on n’a jamais entendu le Barreau du Québec réclamer qu’on annule TOUTES les lois du Dominion ? Youhou ! La Constituti­on s’autoviole depuis 1982 ! Sans blague, est-ce la mission du barreau de se faire « contrôleur législatif » ? Bien des avocats, qui ont lancé une pétition réclamant l’abandon de la requête nucléaire, répondent que cette requête procède d’un mauvais usage de leurs coûteuses cotisation­s.

Le barreau n’invite-t-il pas la cour à violer la séparation des pouvoirs en l’intimant de s’ingérer dans l’organisati­on du travail du législatif, l’Assemblée nationale ? Peut-être bien.

Pour éviter de devenir une sorte de Kim Jong-un du droit au Québec, le barreau devrait vraiment envisager de se dénucléari­ser.

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La promesse d’adopter « sans délai » une version officielle de la Constituti­on de 1867 est constituti­onnalisée à l’article 55 du texte paraphé par la reine en 1982.

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