Aura de mystère autour des dépenses
Impossible d’obtenir le détail des dépenses des députés lors de leurs missions à l’étranger
QUÉBEC | Ce qui se passe à l’étranger reste à l’étranger, du moins, lorsqu’il est question des voyages des députés. Il est en effet quasi impossible de connaître le détail des coûts des missions parlementaires et des dépenses du président de l’Assemblée nationale, dénoncent une poignée d’actuels et anciens élus. Seul le coût total de chacune de ces missions payées par les contribuables est public. Il nous a été impossible d’obtenir le fin détail de ce que les élus dépensent, par exemple, des factures de restaurants, d’alcool, d’avion, etc. Or, certains abuseraient, selon nos informations. « En voyage, Jacques Chagnon [le président de l’Assemblée] paie la traite à tout le monde, c’est aussi pour ça que vous ne trouverez personne pour critiquer ouvertement ces dépenses. » Cet ancien député qui a requis l’anonymat n’a pas été surpris lorsque notre Bureau d’enquête l’a contacté pour discuter des dépenses du président de l’Assemblée. « Tout le monde le sait, mais personne n’en parle… et personne n’en parle, parce que tout le monde a la main dans la jarre à biscuits », dit celui qui a connu M. Chagnon comme président. Deux autres sources appuient ses propos quant aux dépenses de M. Chagnon.
DES « BONBONS » AUX DÉPUTÉS
La « jarre à biscuits », ce sont les missions interparlementaires, des voyages de députés payés par l’Assemblée. C’est notamment l’occasion de visiter d’autres parlements, d’échanger ou de faire rayonner le Québec. « C’est une façon de donner un bonbon à un député pour le faire taire », nous confie l’ancien député. Les élus « aiment le prestige associé à leur fonction. Ils croient que les voyages sont mérités. Ça leur permet de voyager gratuitement », ajoute un actuel député qui a également parlé de ces voyages comme des « bonbons ». Jean-Pierre Charbonneau, qui a été président de l’Assemblée nationale de 1996 à 2002, confirme que ces missions sont perçues comme une « forme de récompense » que les partis accordent à leurs députés. « Quand tu ronges ton frein sur le banc des joueurs […], des fois tu trouves une valorisation en allant prendre de l’air à l’étranger. Mais c’est ce qui ternit la réputation de la diplomatie parlementaire », souligne-t-il.
LOI INEFFICACE
Dans le cadre de notre grand dossier sur la transparence, notre Bureau d’enquête a pu constater que lorsqu’il est question de l’Assemblée, la loi d’accès à l’information est particulièrement inefficace.
Pour en savoir plus sur les voyages et les dépenses du président, nous avons approché plusieurs députés et anciens élus. Seuls cinq ont voulu répondre à nos questions et deux ont accepté d’être nommés. Deux autres personnes ayant participé à des missions internationales ont aussi partagé des informations.
Il faut s’en remettre à des sources pour apprendre, par exemple, que lors de la mission à Berne en Suisse en 2015, un chalet suisse dans les montagnes a été loué. Il y avait de l’alcool à volonté et un souper traditionnel suisse (voir encadré).
« Jacques exagère, ça n’a pas de bon sens, nous dit un autre député. Cet été au Luxembourg, il a payé la facture à tout le monde, nous dit une source. Le vin coulait à flots, deux à trois bouteilles par personne, il a été sept jours sur ce rythme-là. »
M. Chagnon a refusé nos demandes d’entrevue.