Le Journal de Montreal

Raif Badawi, citoyen canadien

- LISE RAVARY lise.ravary@quebecorme­dia.com * Selon le site saoudien Arab News, le guthra, le foulard masculin rouge et blanc le plus vendu est de marque… Nike.

Chaque fois que quelqu’un écrit au sujet du blogueur saoudien Raif Badawi condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet, je suis renversée par le nombre de personnes prêtes à condamner ce défenseur des droits de la personne.

Des langues extrêmemen­t méchantes disent qu’il a eu ce qu’il méritait, qu’il connaissai­t les lois de son pays. Bref, qu’il n’aurait pas dû militer pour l’égalité hommes-femmes, la liberté d’expression et la liberté de conscience.

« Nous avons assez de nos problèmes. » Traduction : « L’humanité opprimée, on s’en tartine. »

La liberté, c’est pour les gens déjà libres ? Les autres devraient prendre un numéro et attendre sagement qu’elle passe dans leur quartier ?

Martin Luther King et Nelson Mandela auraient dû se taire et nous, demeurer indifféren­ts à leurs combats ?

Nos propres patriotes se sont sacrifiés pour libérer le Canada du pouvoir arbitraire d’un lointain souverain tyrannique. Papineau et compagnie auraient-ils dû prendre leur trou ?

CITOYEN CANADIEN

Le premier ministre doit accorder la citoyennet­é canadienne à Raif Badawi. Un geste exceptionn­el en reconnaiss­ance de la singularit­é de sa situation. Sa femme, Ensaf Haidar, et leurs trois enfants ont trouvé refuge ici.

Au terme de sa sentence, dans quatre ans, il n’est pas certain qu’il puisse les rejoindre à Sherbrooke. Aux yeux des Saoudiens, il n’a aucun lien formel avec le Canada. Il serait plus difficile de lui refuser un visa de sortie s’il était aussi citoyen canadien.

Qu’avons-nous à perdre ?

EN ÉVOLUTION

L’Arabie saoudite change. Sous la gouverne du jeune prince héritier Mohammed ben Salman, fils du roi Salman, les autorités religieuse­s wahhabites sont gardées en laisse, les femmes peuvent conduire, assister à des matchs de soccer et à des spectacles, aller au cinéma, servir dans l’armée et comme me le disait la journalist­e française Clarence Rodriguez qui a travaillé à Riyad pendant 15 ans, les musulmanes sont plus couvertes en France que les Saoudienne­s chez elles.

Lisez bien ce dernier bout de phrase.

J’ai demandé à madame Rodriguez si nos politicien­s devaient faire pression sur les Saoudiens pour faire libérer Raif Badawi, comme plusieurs le réclament. « Cela pourrait les braquer, dit-elle. Les Saoudiens sont très fiers. »

Par contre, une fenêtre s’est ouverte depuis que le roi a transféré une bonne partie du pouvoir à son fils. Les changement­s apportés par MBS, comme on l’appelle, s’apparenten­t aux demandes de Raif Badawi dans ses blogues.

BEAUCOUP À FAIRE

L’Arabie saoudite ne deviendra pas un État comme les autres demain matin, et peut-être jamais, mais quand les gardiens de l’hyper orthodoxie sunnite et des lieux le plus sacrés de l’islam, La Mecque et Médine, commencent à desserrer leur agal – le cordon noir sur la tête* – et à accepter les réalités du monde moderne, on ne peut qu’applaudir. Mais surtout applaudir (et non pas condamner bêtement) le courage de Raif Badawi qui ne demande pour ses concitoyen­s que les libertés dont vous et moi profitons chaque jour, sans même y penser.

« Nous avons assez de nos problèmes. » Traduction : « L’humanité opprimée, on s’en tartine. »

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Raif Badawi Blogueur emprisonné
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