Souvenirs de Jean Charest
Le 14 avril 2003, Jean Charest prenait le pouvoir. Quinze ans plus tard, hormis pour la courte parenthèse Marois, les libéraux y sont toujours. Pour marquer le 15e anniversaire de sa victoire, plusieurs chroniques ont analysé son héritage politique, dont son lourd parfum de corruption.
Étonnamment, un de ses pires moments comme premier ministre semble être déjà oublié : la grève étudiante de 2012. La stratégie de polarisation empruntée par M. Charest face aux étudiants en disait pourtant long sur ses vraies « valeurs ».
Le peu de cas qu’il a fait de droits aussi fondamentaux que les libertés d’expression et de réunion pacifique trahissait son côté sombre et inquiétant. En plein printemps étudiant, Jean Charest s’est en effet permis l’adoption d’une « loi spéciale ». Digne d’un régime autoritaire, elle visait à restreindre fortement le droit de manifester tout en cassant les reins financiers des associations étudiantes.
DÉMAGOGIE
Le discours démagogique et populiste de M. Charest visait à convaincre l’électorat de deux immenses faussetés. D’une, que les étudiants étaient de dangereux radicaux prônant la « violence et l’intimidation » – une expression que lui et ses ministres reprenaient ad nauseam.
De deux, que seuls les libéraux, s’autoproclamant les gardiens de l’ordre, pouvaient leur tenir tête. Le tout, dans l’espoir de remporter l’élection se pointant à l’horizon. Électoraliste, sa stratégie reposait aussi sur sa volonté claire de briser un mouvement qui ébranlait les élites politiques et d’affaires.
Soir après soir, les étudiants prenaient la rue et obtenaient des appuis à travers les générations. Ce mouvement faisait peur aux élites pour une raison fort simple. Pour reprendre l’expression du prestigieux quotidien britannique The Guardian : le printemps étudiant était devenu le « symbole de la plus puissante remise en question du néolibéralisme » sur le continent.
ABJECT
D’où la « loi spéciale » des libéraux. D’où aussi le fameux règlement P-6 adopté en même temps par la Ville de Montréal. De la même eau autoritaire, au fil des ans, les tribunaux ont fini par invalider les deux principaux piliers de P-6 : l’obligation de fournir un itinéraire aux policiers et l’interdiction de porter un masque pour manifester.
Bref, pour instrumentaliser à ses propres fins une grève étudiante devenue un mouvement social, Jean Charest aura bien tout tenté. Y compris, avec sa « loi spéciale » – un geste abject sur le plan démocratique.
Ces milliers d’étudiants et d’étudiantes lui ont pourtant tenu tête. Avec courage, ils ont défendu leur vision d’une société plus juste. Une vision aux antipodes de celle du gouvernement Charest.
Un grand homme l’a parfaitement résumé. Ces étudiants ont montré « une telle vitalité pour résister à l’alliance trop étroite du pouvoir politique et de l’argent, à une gestion néolibérale et comptable de la société et à une démocratie du genre “j’ai gagné, t’as perdu, je fais ce que je veux”. Mes meilleurs voeux les accompagnent ».
De qui sont ces mots ? Ils sont de l’ex-premier ministre Jacques Parizeau, en préface de Carré rouge, le magnifique livre du photographe Jacques Nadeau, paru à l’automne 2012...