La haine des femmes
La police de Toronto ne dit rien des motivations du suspect dans l’attaque meurtrière au camion-bélier qui a fauché au moins dix vies, dont une majorité de femmes. Tout ce qu’on avance est qu’il se serait identifié au mouvement des « incels ».
Ces « célibataires involontaires » abaissent et blâment les femmes pour l’absence de sexe dans leur vie. La plupart d’entre nous n’en avaient jamais entendu parler. Or, au-delà du cas du suspect qui reste à être élucidé, il urge de regarder bien en face le phénomène réel de la haine des femmes.
Cette haine est nourrie par certains milieux d’extrême droite en pleine croissance. Y compris les « incels ». C’est une idéologie radicalement anti-femmes. Des femmes que l’on réduit à des objets ne servant qu’à satisfaire sexuellement les hommes.
Comment une telle menace à l’intégrité des femmes a-t-elle pu passer inaperçue jusqu’à maintenant ? Parce qu’elle sévit dans les racoins sombres du web ? Comme des coquerelles, maintenant qu’elle est exposée à la lumière, le risque est que cette menace trouve le moyen de se cacher.
FÉROCITÉ
La haine des femmes n’a rien de nouveau. Ce qui l’est, par contre, est la férocité de cette détestation misogyne. Le web lui sert de multiplicateur en permettant le « réseautage » transfrontalier de ces hommes frustrés au point de haïr.
L’omniprésence alarmante sur le web du porno – une industrie mondiale d’exploitation et d’avilissement des femmes –, nourrit aussi leur imaginaire tordu et les déconnecte de la réalité.
La hargne anti-femmes trouve également sa cible dans les mouvements contraires comme le #MoiAussi parce qu’ils libèrent la parole des femmes trop longtemps réprimée sur le harcèlement et les agressions sexuelles.
Pour ces misogynes enragés, la « femme féministe » devient alors un ennemi fantasmé. Un ennemi à combattre, à battre, à insulter, à violer ou même parfois, à abattre. Presque 30 ans après la tuerie de la Polytechnique, prenons-en pleinement conscience.
VIOLENCE
En incitant à la haine des femmes, ce discours délirant risque aussi d’inciter à la violence, qu’elle soit verbale, écrite ou physique. Comme le rappelle le chroniqueur Pierre Trudel du Devoir, en droit canadien : « Un propos peut être tenu pour haineux uniquement dans les cas où le dénigrement est extrême et flagrant. »
Bref, au Canada, la liberté d’expression est fort bien protégée, mais elle n’est pas un absolu sans limites. Qu’un discours alimente la haine contre les femmes, les Juifs, les musulmans, les LGBTQ, les Noirs ou autres, est complexe à prouver, mais il est possible de le faire.
Le temps est venu pour nos gouvernements de cesser de s’en remettre aux Facebook de ce monde pour qu’ils policent eux-mêmes tout le venin qui circule sur le web.
Le meurtre pour motif haineux n’est que la forme la plus extrême du danger concret que ces discours posent dans nos sociétés démocratiques. Leurs autres effets toxiques n’en sont pas moins redoutables. Les violences sexuelles qui déferlent jusque dans nos écoles en sont aussi un symptôme.
C’est pourquoi les élus doivent agir intelligemment avant qu’il ne soit trop tard.