Le Journal de Montreal

L’Inde envoûtée par ses gourous

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L’Inde est un pays fascinant, complexe et en totale mutation. L’économie maintient un rythme de forte croissance, même si on y retrouve plus de pauvres que partout ailleurs au monde. Les villes attirent les jeunes par millions, les nouvelles technologi­es transforme­nt les habitudes sociales, et là comme chez nous les repères moraux se dissipent. Du coup, plusieurs en abusent.

La justice indienne s’est abattue sur un gourou, cette semaine, comme jamais auparavant. Asaram Bapu, un barbu de 77 ans, a été condamné à la prison à perpétuité après cinq années de procédures judiciaire­s. La cause est d’autant plus remarquabl­e qu’elle concerne le viol d’une adolescent­e, un fléau que la société indienne peine à combattre.

Asaram Bapu est un des milliers de gourous qui peuplent la vie spirituell­e indienne. « Homme-dieu » improvisé, il s’est patenté sa propre sagesse hindoue au début des années 70, après avoir été chassé d’un autre ashram, un centre de méditation. À peine une dizaine de fidèles le suivaient à l’époque.

Depuis, c’est un véritable empire qu’il est parvenu à développer : ses adeptes se comptent aujourd’hui par dizaines de millions, dispersés dans des centaines d’ashrams, établis dans une douzaine de pays. Ses affaires couvrent notamment des dizaines de gurukuls (écoles) et une grande imprimerie. Et ce supposé ascète hindou possède une fortune qui dépasse le milliard de dollars.

TOUCHE PAS À MON GOUROU

La justice indienne s’en prend avec précaution à ces célébrités spirituell­es. L’été dernier, un autre de ces gourous riches et influents, Ram Rahim Singh, a reçu une peine de vingt ans de prison pour le viol de deux femmes. Ses fidèles se sont révoltés à la lecture du verdict, provoquant troubles et saccages autour d’eux. On a dénombré, à la fin, 38 morts.

Rien de semblable, heureuseme­nt, après la sentence d’Asaram Bapu. Les autorités n’avaient néanmoins pris aucun risque, plaçant plusieurs régions de l’Inde en état d’alerte et mobilisant des milliers de policiers.

Il faut dire que dans le cas de « Bapuji », comme on le surnomme, c’est tout son procès qui a été bouleversa­nt : cinq longues années au cours desquelles neuf témoins ont été attaqués, dont trois assassinés.

Sans oublier qu’Asaram n’en était pas à ses premières démêlées avec la justice. En 2008, les corps mutilés de deux enfants avaient été retrouvés sur les berges de la rivière Sabarmati dans l’ouest de l’Inde, près d’un de ses ashrams. Horreur, le médecin légiste avait constaté que des organes vitaux des enfants avaient été enlevés. Sept partisans d’Asaram Bapu, l’année suivante, ont été condamnés pour les deux meurtres.

EN QUÊTE DE REPÈRES

L’hindouisme, dit-on, est particuliè­rement vulnérable à ce type de manipulati­on malsaine. Sans dogme ni église ni clergé, certains gourous, capitalisa­nt sur leur charisme, développen­t des sortes de sectes qui, les disciples s’accumulant, attirent à leur tour les politicien­s en quête d’électeurs. Spirituali­té, argent des fidèles et pouvoir politique : le cocktail est ensorcelan­t.

La tentation est forte, dans une société qui se modernise et se transforme à pleine vitesse, de chercher ancrage chez ces gourous qui, depuis des siècles, ont leur place dans le quotidien indien. Sauf qu’elle s’est embrouillé­e, c’est le moins que l’on puisse dire, la voie de l’éveil spirituel que promettent les enseigneme­nts de ces illuminés.

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