Le Journal de Montreal

Pleurer un ange

- LISE RAVARY Blogueuse au Journal Communicat­rice, journalist­e et chroniqueu­se lise.ravary@quebecorme­dia.com @liseravary

Dans ce métier que j’exerce depuis très longtemps, on a beau examiner de près les travers de l’être humain, tant sa bêtise que son potentiel pour la cruauté, on ne s’endurcit jamais autant qu’on le souhaitera­it. Nous sommes des crabes à carapace molle, ceux qui font de si bons sushis.

J’ai été frappée de plein fouet par la mort de la petite Rosalie Gagnon, 2 ans.

De tous les crimes dont notre espèce est capable, l’infanticid­e dépasse l’entendemen­t. Comment une mère, un père, peuvent-ils enlever la vie qu’ils ont donnée, et dans un geste de violence extrême massacrer la chair de leur chair ? Quel démon les pousse à traverser la frontière entre la normalité et l’horreur à l’état pur ?

Certains souffrent de maladies mentales. D’autres pas, pas d’un point de vue clinique. Mais un parent en pleine possession de ses moyens peut-il faire une telle chose ? J’en doute.

Mais un meurtre demeure un meurtre.

MAUDITE DROGUE

Audrey Gagnon, dont on sait peu de choses, est toxicomane. Tous les parents toxicomane­s ne sont pas des monstres. Cela dépend de la personne et de la substance. Il ne faut pas comparer cannabis et méthamphét­amine, opioïde ou cocaïne. Mais parlez-en à n’importe quel intervenan­t de la DPJ et il vous dira que les drogues dures sont présentes dans une grande proportion de cas de maltraitan­ce d’enfants.

J’ai déjà fait du bénévolat auprès de jeunes qui essayaient d’arrêter de consommer. La plupart étaient parents d’enfants de moins de cinq ans. Le crack et le crystal meth, deux poisons hautement addictifs qui peuvent transforme­r une personne normale en Incroyable Hulk, étaient leurs substances de choix.

J’ai dû cesser ces accompagne­ments après un certain temps, je n’avais plus la force psychique pour assister, impuissant­e, à l’enfer que certains de ces parents faisaient vivre à leurs bambins innocents. Combien de signalemen­ts, combien de signalemen­ts non retenus aussi. Le système craque.

Où était rendue Audrey Gagnon dans sa déchéance quand elle aurait poignardé sa petite Rosalie ? Y a-t-il un baril assez profond pour contenir une mère qui jette le corps mutilé de son bébé dans une poubelle ?

J’espère que le procès nous en apprendra sur la gestion de ce cas par la DPJ et par la maison d’hébergemen­t qui a expulsé Audrey et sa fille de deux ans. Les bas-fonds de l’âme humaine nous sont inaccessib­les, mais les corridors administra­tifs doivent toujours demeurer éclairés.

UN COEUR

Il est facile de porter des jugements sur les coutumes d’autrui, comme si nous étions immunisés contre l’inhumanité. Mais même après sa mort, Rosalie Gagnon n’a cessé d’être traitée comme un déchet. Après le bac à ordures, cette enfant a failli être enterrée dans une fosse commune, car personne, ni le père ni les grands-parents n’ont réclamé son petit corps.

Heureuseme­nt qu’un oncle s’est manifesté, et grâce à lui et à la générosité de Québécois ordinaires, d’un salon funéraire et d’un fleuriste, Rosalie aura des funéraille­s samedi prochain à l’église Saint-Rodrigue de Québec, à 11 h.

Je suis persuadée que l’église sera remplie de bonnes personnes venues pleurer un ange.

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