Comment un cadre de Lafarge informait les services secrets
PARIS | (AFP) Que savaient les autorités françaises des agissements de Lafarge en Syrie ? Un ex-cadre du cimentier, accusé d’avoir financé des groupes armés, dont l’État islamique (ÉI), pour faire tourner son usine malgré la guerre, a détaillé aux juges comment il informait les services secrets.
« Je ne faisais aucun tri dans les informations que je donnais aux services des renseignements [...] j’ai donné toutes les informations », affirme l’ancien directeur Sûreté du groupe français Jean-Claude Veillard.
À plusieurs reprises, ces informations transiteront par une mystérieuse adresse courriel : grosmarmotte@gmail.com. « C’était le point d’entrée de la DGSE », le service de renseignement extérieur de la France, relève l’ancien cadre, depuis peu à la retraite.
Les 3 et 12 avril derniers, M. Veillard s’explique longuement devant la juge d’instruction qui l’a inculpé en décembre 2017 pour « financement d’une entreprise terroriste » avec cinq autres ex-cadres ou dirigeants du cimentier et de sa filiale syrienne.
PROXIMITÉ
Entré chez Lafarge après 40 ans au ministère de la Défense, il n’avait déjà rien caché, lors de sa garde à vue à la fin 2017, de sa proximité avec les agences de renseignement françaises, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la DRM (Direction du renseignement militaire) et celle de son ancienne maison, la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).
Dans ses courriels adressés à la DGSE et versés au dossier d’instruction, il relate le sort de l’usine syrienne de Jalabiya prise dans l’étau djihadiste.
Le 13 septembre 2014, son correspondant à la DGSE est avisé : « Nous allons stopper les ventes, car nos distributeurs sont obligés de traiter avec les djihadistes et cela risque de mettre tout le monde en difficulté. » Quelques jours plus tard, l’usine passe sous le pavillon noir de l’ÉI. « Nous recherchons maintenant une voie pour payer la taxe », écrit-il.
Deux mois plus tard, le 17 novembre, il évoque le rôle d’intermédiaires, dont Amro Taleb, un Canado-syrien proche de l’ÉI, qui a activé des contacts dans la région pour « relancer l’usine sous le contrôle d’homme d’affaires de Daech », l’autre nom de l’ÉI.
12 MILLIONS D’EUROS
Lafarge, qui a fusionné avec le suisse Holcim en 2015, est aujourd’hui suspectée d’avoir versé entre 2011 et 2015, via sa filiale syrienne, plus de 12 millions d’euros (taxes pour assurer le passage des employés, achat de matières premières...) à des factions armées, dont l’ÉI, pour maintenir l’activité de l’usine.
Rappelons que GBL, un holding contrôlé par les familles Frère et Desmarais, est le deuxième actionnaire en importance de Lafarge, avec 9,4 % du capital. Paul Desmarais Jr siège au conseil de Lafarge depuis 2008.
LafargeHolcim possède plusieurs cimenteries en Amérique du Nord dont une à Saint-Constant, près de Montréal.