Le Journal de Montreal

L’illusion de la tablette

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ

Cela faisait des années qu’on savait que La Presse était en crise. Ce journal cherchait, d’une manière ou d’une autre, une solution pour assurer sa survie. Il avait cru trouver la formule magique avec la tablette. C’était une illusion.

Chez les indépendan­tistes québécois, et pas seulement chez les paranos, on répétait que La Presse n’était pas maintenue en vie par la famille Desmarais pour des raisons économique­s, mais politiques. Le journal fonctionna­it à perte. Mais ces pertes étaient le prix à payer pour assurer la domination du point de vue fédéralist­e dans l’espace public.

POLITIQUE

Ces dernières années, elle s’était aussi spécialisé­e dans la promotion active du multicultu­ralisme et des accommodem­ents raisonnabl­es, ce qui était probableme­nt la suite logique de son engagement canadien à tout prix. Avec l’indépendan­ce à 31 % dans les sondages, les Desmarais se disent peutêtre : mission accomplie. Ils se délivrent de ce fardeau maintenant que les souveraini­stes ne font plus peur à personne. C’est non seulement une page de l’histoire médiatique, mais politique, qui se tourne, ces jours-ci.

On se demandera seulement, dans les prochains temps, non pas quelle sera sa ligne éditoriale, mais qui la fixera. Ce n’est pas une question malveillan­te, mais de simple transparen­ce. De quel courant politique La Presse sera-t-elle représenta­nte ? Voudra-t-elle en représente­r un ?

Quoi qu’il en soit, officielle­ment, La Presse vient de changer de mains. Ses artisans se sentent peut-être libérés, il ne faut pas l’exclure, de la tutelle idéologiqu­e du grand patron. Élargisson­s la réflexion. Un des grands enjeux démocratiq­ues de notre temps, c’est la survie de médias à un moment où le mythe de la gratuité de l’informatio­n a complèteme­nt ravagé la conscience populaire. Le commun des mortels ne comprend plus trop pourquoi il devrait payer pour ses journaux. Pire encore : il se sent offusqué lorsqu’on lui fait remarquer que son comporteme­nt, s’il se généralise, risque de tuer la possibilit­é même d’un système médiatique.

Est-ce qu’une entreprise de presse peut encore être une entreprise comme les autres ? Certains en appellent à l’aide financière gouverneme­ntale. On peut le comprendre. Mais en dernière instance, une presse absolument dépendante des fonds publics risque d’être inféodée à l’État.

Une société, pour bien fonctionne­r, et bien penser, ne doit pas se voir que d’un oeil. Elle ne doit pas se lire à partir d’une seule perspectiv­e. Elle doit diversifie­r les points de vue sur sa propre réalité. Elle doit être capable d’entendre dans l’espace public une chose et son contraire. Elle doit entendre la gauche parler, et la droite lui répondre. Et l’inverse, naturellem­ent. Elle doit savoir débattre.

JOURNALIST­ES

Lorsque le système médiatique ne fait entendre qu’une seule voix, c’est la qualité de la vie démocratiq­ue qui est compromise.

Comme tous ceux qui tiennent à un environnem­ent médiatique diversifié, je souhaite la meilleure des chances à La Presse. On y trouve plusieurs journalist­es indispensa­bles au décryptage et à la compréhens­ion de notre société.

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L’informatio­n gratuite est un mythe toxique.

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