Le Journal de Montreal

La Tunisie et les défis de la transition démocratiq­ue

- FATIMA HOUDA-PEPIN fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère Les Tunisiens ont été appelés aux urnes, le 6 mai dernier, pour leurs premières élections municipale­s depuis la « Révolution du Jasmin », il y a 7 ans. Une étape cruciale dans un processus de transition démocratiq­ue en dents de scie depuis les soulèvemen­ts populaires de 2011.

Et le gagnant est : « l’abstention ». Elle dépasse les 66 %, selon la mission d’observatio­n de l’Union européenne.

ESPOIR ET DÉSENCHANT­EMENT

La Tunisie a été la bougie d’allumage du « Printemps arabe » lorsque Mohamed Bouazizi, un jeune diplômé désoeuvré réduit à marchand ambulant, s’était immolé par le feu, le 10 décembre 2010, à Sidi Bouzid, pour protester contre l’injustice et la corruption.

Mais pour décoder le scepticism­e des citoyens à l’égard de leurs dirigeants, il faut remonter à l’accession au pouvoir du président Habib Bourguiba, en 1957.

Dès l’indépendan­ce, il a inscrit l’État tunisien sous le signe de la modernité, en empruntant à la fois au modèle républicai­n français et à la laïcité d’Atatürk.

Sans rompre avec les préceptes de l’islam, il a implanté des réformes audacieuse­s. Nombreux sont les Tunisiens à l’aduler encore aujourd’hui. (Voir ma chronique du 7 mai. Ici : https://bit.ly/2FRlubo)

Le revers de la médaille, c’est que ses trente ans au pouvoir ont fini par engendrer l’autoritari­sme, le culte de la personnali­té et la montée islamiste.

Zine El Abidine Ben Ali le remplacera le 7 novembre 1987. Il régnera en dictateur près d’un quart de siècle et érigera la corruption en système. Les Tunisiens le chasseront au cri de « Dégage », le 14 janvier 2011.

L’onde de choc s’était répandue au-delà de la Tunisie, avec les conséquenc­es dramatique­s qu’on connaît : l’Arabie saoudite a consolidé sa force de destructio­n massive au MoyenOrien­t, la Syrie a sombré dans la guerre civile, les Frères musulmans se sont emparés du pouvoir en Égypte avant de le céder aux militaires, la Libye a été dévastée par la guerre des clans, les groupes djihadiste­s sèment, aujourd’hui, la terreur dans les pays du Sahel avec l’arsenal militaire de Kadhafi.

HOMMAGE À LA SOCIÉTÉ CIVILE

La Tunisie est l’un des rares pays du Maghreb à se tenir debout face à la tourmente djihadiste. Elle tente, malgré les alias de ses tensions internes, de se forger un modèle démocratiq­ue à son image. Nous devons l’appuyer.

Déjà, des gestes concrets ont été posés. Une nouvelle constituti­on a été promulguée, en janvier 2014, et des élections législativ­es ont eu lieu. Mais au-delà des clivages politiques, un de ses atouts majeurs réside dans la vigilance de ses citoyens.

Ce sont précisémen­t quatre associatio­ns de la société civile (du milieu syndical, patronal et de défense des droits), réunies dans le quartet du dialogue national, qui ont facilité le passage vers une démocratie pérenne. Leur travail a été récompensé par le prix Nobel de la paix en 2015.

Le Canada serait le bienvenu pour y financer des projets structuran­ts de développem­ent démocratiq­ue, de bonne gouvernanc­e et de renforceme­nt des capacités de la société civile.

LA LUTTE À LA CORRUPTION : UNE PRIORITÉ

La démocratie ne se résume pas en une simple mécanique électorale, d’où l’importance de mettre en place des institutio­ns indépendan­tes chargées d’exercer un contrôle sur l’appareil de l’État. L’une d’elles est l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC).

Je me suis entretenue, le 2 mai dernier, avec son président, M. Chawki Tabib, en mission au Canada pour identifier les meilleures pratiques en matière d’investigat­ion et de prévention de la corruption, une priorité nationale pour la Tunisie.

– « Pensez-vous que le processus politique qui s’est amorcé en Tunisie va aboutir à une véritable démocratie ? » ai-je demandé.

« Oui, car il a été élaboré d’une manière consensuel­le en ayant à l’esprit les leçons du passé et les revendicat­ions progressis­tes des Tunisiens. »

– « Et le rôle des femmes et de la société civile dans les changement­s qui se sont opérés dernièreme­nt en Tunisie ? »

« Les femmes et la société civile sont de loin les principaux acteurs et garanties de réussite de cette transition démocratiq­ue […] Elles étaient le principal rempart face à l’obscuranti­sme et le terrorisme intellectu­el de certains mouvements se réclamant de l’islam. »

Voilà, la Tunisie a besoin de nous !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada