Le Journal de Montreal

L’entraide a tellement meilleur goût

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Je t’avais déjà raconté mon histoire de cadre tabletté au gouverneme­nt. Par la suite, j’en avais parlé à un journalist­e qui en avait fait un article tout en préservant mon anonymat. En le contactant, j’espérais que mon histoire attire la sympathie du public et éveille les conscience­s pour faire changer les choses. Mais mon idée était mauvaise, car mon employeur a fini par découvrir mon identité et ça m’a valu encore plus d’isolement.

Avant mon temps, j’ai décidé de prendre ma retraite. J’aurais voulu rester au travail encore quelque temps, mais après cinq ans comme cadre tabletté, je ne pouvais plus le supporter. J’ai consulté (psychologu­e, ressources humaines, associatio­ns, etc.) pour savoir pourquoi je restais sur la touche et comment m’en sortir. Mais je n’aurai jamais su ce qui m’a valu d’être ainsi ignoré de mon organisati­on. Ce que je sais par contre, c’est que pendant ces cinq ans, je fus ignoré de tout le monde, patrons comme collègues.

J’en ai souffert et ils le savaient. Ce qui faisait le plus mal, ce n’est pas l’humiliatio­n d’être ignoré à chaque poste qui se libérait, non. Ce qui faisait le plus mal, c’était de voir l’aveuglemen­t et le manque de compassion de mes collègues. Peut-être avaientils peur pour leur carrière personnell­e ? Ou encore étaient-ils heureux de me voir dans cette situation ? Le « ils » utilisé ici contient aussi beaucoup de « elles ». S’ils savaient à quel point leur regard, ou plutôt leur absence de regard sur moi, fut pénible à vivre ?

J’ai quitté prématurém­ent, car psychologi­quement je n’en pouvais plus. Mon psychologu­e me disait que je devrais soit quitter pour passer à autre chose ou encore apprendre à vivre avec la situation en profitant du fait que j’étais payé à ne rien faire. Je n’ai pas su. Je n’ai pas pu. Toujours est-il que j’ai laissé mon estime de moi dans cette histoire. J’ai perdu tout espoir dans la compassion des autres. Toutes mes tentatives pour les sensibilis­er à la situation des êtres malheureux qui les entourent furent vaines. Ne vautil pas mieux vivre dans un monde d’entraide que dans un monde du « chacun pour soi » ?

La retraite devrait être vécue comme une naissance. On se souhaite tous de quitter le travail avec le sentiment du devoir accompli et la reconnaiss­ance de nos pairs. Mais ce ne sera pas mon cas. Et des gens comme moi, il y en a plus qu’on pense. Je ne sais plus trop quoi dire aux gens qui souffrent pareille déveine, car je ne réussis pas à m’en sortir. Ah ! si les gens savaient à quel point une petite attention peut soulager quelqu’un qui souffre ! Merci

Devant ce triste constat sur lequel vous n’avez aucun pouvoir, pourquoi ne pas prendre la décision de mettre en applicatio­n l’une des suggestion­s de votre psychologu­e, à savoir « de passer à autre chose » ? Accordez-vous au moins la chance de mieux vivre les années qui vous restent en apprenant à reconstrui­re votre estime de vous pour trouver du bonheur dans l’existence. Ce qu’on vous a fait subir est immonde, mais vous êtes plus que ça, et c’est à vous de le prouver. Reprenez le pouvoir sur votre vie, car elle vous appartient.

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