Power Corporation demande une confiance aveugle aux élus
Power Corporation demande aux élus de l’Assemblée nationale d’autoriser une procédure exceptionnelle, accélérée, en limitant les débats afin d’adopter à toute vitesse la transformation de La Presse en OBNL afin, prétend-on, de sauver les emplois.
Je suis tout à fait d’accord avec des mesures pour venir appuyer l’information et le maintien des emplois des journalistes, mais rien dans la proposition de Power Corporation (PC) ne garantit leur maintien.
Si La Presse était déficitaire avant, qu’est-ce qui nous garantit qu’elle ne le sera pas après ? Rien du tout, et PC refuse de fournir les informations de base pourtant nécessaires à l’étude du dossier.
Les états financiers pour mesurer l’ampleur du déficit, le plan d’affaire de l’OBNL pour apprécier le redressement prévu. Sans ces informations, PC demande tout simplement aux élus de lui faire confiance aveuglement. Ce n’est pas sérieux et c’est même une insulte à l’intelligence des parlementaires. Pourquoi cette proposition est-elle déposée en toute fin de session parlementaire alors que les délais normaux sont dépassés ?
EST-CE LE RÔLE DE L’ÉTAT ?
Pour les revenus additionnels, PC espère que le nouvel OBNL pourra se qualifier pour des crédits d’impôt de don de charité par Revenu Canada comme indiqué dans le dernier budget canadien de Justin Trudeau de mars 2018.
Premièrement, PC ne nous indique aucunement le montant espéré, ni si ce montant est suffisant pour combler les pertes. Deuxièmement, cette source de revenus serait inéquitable, car elle ne serait pas accessible aux autres structures d’entreprises que ce soit de type coopératif ou privé. Cela créerait donc de la concurrence déloyale.
Est-ce que c’est le rôle de l’État de favoriser un modèle d’entreprise médiatique au détriment d’un autre ? Pourquoi ne pas choisir un crédit d’impôt sur la masse salariale des journalistes ?
Du côté de la direction du nouvel OBNL, PC propose de garder tout le contrôle en nommant la direction de l’OBNL. C’est assez surprenant comme modèle d’OBNL, non ? Rappelons que PC a déclaré des revenus de près de 52 milliards de dollars l’année passée, j’ai bien écrit 52 000 000 000. Nous n’avons malheureusement pas les états financiers de La Presse qui n’ont jamais été publiés.
Comme vous voyez, la proposition de PC soulève beaucoup de questions importantes, tant à Québec qu’à Ottawa, qui méritent notre attention. L’avenir des médias, l’avenir du travail de journaliste sont trop importants pour la démocratie pour escamoter les débats en mettant de côté d’autres solutions possiblement plus structurantes pour le milieu.
Le jour où le Québec sera une République, nous n’aurons pas à faire des débats et prendre des décisions sur une même question sur les deux paliers de gouvernement, cela nous permettra d’être plus cohérents et plus efficaces.
PROTÉGER LES EMPLOIS
L’accessibilité à l’information est essentielle et la diversité des sources d’informations est un indicateur essentiel d’une saine démocratie. La crise actuelle, qui frappe non seulement l’entreprise de Power Corporation, mais également plusieurs médias écrits, électroniques et télévisuels, est très préoccupante. Une réflexion globale est nécessaire pour favoriser des actions concrètes qui, à court terme, permettront à l’État de jouer son rôle de protecteur de l’intérêt public. La crise qui secoue actuellement les médias est annoncée depuis déjà une dizaine d’années. Il faut sauver les centaines d’emplois de journalistes menacés par la volonté de Power Corporation de se départir de La Presse.
La non-rentabilité de La Presse est une rumeur qui circule dans le milieu depuis fort longtemps, et Power Corporation a probablement dû absorber plusieurs déficits ces dernières années. Ce n’est pas quelques mois qui changeront le portrait de cette entreprise de plus de 50 milliards $ de revenus.
Pourquoi mettre autant de pression sur les élus, en essayant de leur transférer le fardeau de la décision de Power Corporation concernant les emplois ? Pourquoi éviter, par la précipitation, de faire les vrais débats et de trouver des solutions applicables à l’ensemble des journalistes ? Pourquoi Power Corporation a-t-elle créé ce climat de crise avec les menaces de pertes d’emploi à ce moment-ci alors que la situation est connue de leur part depuis fort longtemps ?
Pour éviter une situation de concurrence déloyale, ne serait-il pas préférable d’envisager des crédits d’impôt sur la masse salariale qui s’appliqueraient à tous les médias ? Martine Ouellet, chef du Bloc Québécois et députée à l’Assemblée nationale