Le Journal de Montreal

Pourquoi la monarchie m’énerve

- c antoine. r obit aille @quebecorme­dia.com

Toute cette fébrilité autour du mariage royal, en Angleterre, du prince Harry et de Meghan Markle, s’explique aisément.

La monarchie, c’est clinquant, fastueux. Ce sont des symboles forts. Cette sorte de gouverneme­nt a des bases communes avec celles des sectes : le dirigeant ou la dirigeante a un lien direct avec le divin.

À une certaine époque, le pouvoir était fondé et transmis de « droit divin ».

Évidemment, il y a eu évolution : en Angleterre, après la « Glorieuse Révolution » (1688-1689), la couronne a lentement perdu sa capacité à gouverner dans les faits.

La monarchie est progressiv­ement devenue « constituti­onnelle », le monarque étant forcé de respecter une foule de coutumes et d’usages.

Depuis des siècles, donc, la couronne règne, mais ne gouverne pas. C’est un symbole non partisan de l’unité du pays.

STADE INFANTILE DU POLITIQUE

Et la monarchie, les familles royales continuent de fasciner. Les membres de ces dynasties sont aussi, sinon plus connus que des célébrités du cinéma.

C’est l’effet d’envoûtemen­t de la grande richesse. Il y a peut-être plus intéressan­t : l’aspect anachroniq­ue fait en sorte de relier les contempora­ins au passé lointain de leur nation.

Il reste que la monarchie représente le stade infantile du politique. D’abord et avant tout parce que c’est simple : une personne règne, voilà tout. Ses enfants prendront la relève. La politique, dans son aspect débat, division, déchiremen­t, est dissimulée sous le faste.

Aussi, on est spontanéme­nt monarchist­e avec les enfants. Les histoires qui les captivent impliquent souvent des rois, des princesses et des princes.

« La couronne royale stimule l’imaginaire plus facilement que l’urne électorale », écrivait le politologu­e (et ami) Pierre Skilling, dans son livre Mort aux tyrans ! Tintin, les enfants, la politique (Nota Bene, 2002).

Prenons le Roi Lion : « On ne penserait pas à présenter aux enfants un “président” ou un “premier ministre” Lion ! » avait illustré Skilling en entrevue, il y a quelques années.

ÉDUCATION À LA DÉMOCRATIE

On me répondra que cette fascinatio­n est sans conséquenc­e de nos jours. Et que cela n’a plus vraiment d’effet aujourd’hui puisque nos monarchies sont constituti­onnelles.

Il y a tout de même des effets politiques bien réels au fait que nous vivions en monarchie. Notamment celui-ci : nos référendum­s sont consultati­fs et non exécutoire­s. Chez nous, c’est le parlement qui a hérité de la souveraine­té royale. Encore que… sans une sanction du souverain (ou de son représenta­nt), une loi ne peut avoir d’effet. L’esprit monarchiqu­e semble « pas tuable » : certains réflexes reviennent constammen­t, même dans les vieilles démocratie­s. Le réflexe dynastique : pourquoi le fils ou la fille d’un grand politicien du passé, Trudeau ou Mulroney, par exemple, devraient-ils être considérés en priorité ou retenir plus d’attention que les autres candidats ? Au coeur même de la république américaine, le réflexe dynastique est fort : pensons à la lignée des Bush. Et que dire de celle des Kennedy ? Parions que les Trump n’ont pas fini d’occuper le devant de la scène politique. Certes, avoir le bon sang ne garantit pas le succès électoral : des Bush ont perdu leurs élections ; des Kennedy aussi, évidemment. N’empêche, pour plusieurs, même en démocratie, le fait de porter certains gènes vous donne une longueur d’avance. Le mot « république » chez nous fait référence à une « idée suspecte » (Marc Chevrier l’explique admirablem­ent dans La République québécoise, Hommages à une idée suspecte, Boréal, 2012). Le mot et l’idée semblent avoir été entachés chez nous par l’adjectif « bananière » ou l’épithète « de banane », voire d’« opérette ». Le fait qu’un personnage aussi catastroph­ique que Martine Ouellet tente de la promouvoir n’aide pas la cause républicai­ne. Mais pendant ce temps-là, on fait l’impasse sur le ridicule de notre fascinatio­n béate et collective face à tout ce qui est royal.

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« On fait l’impasse sur le ridicule de notre fascinatio­n béate et collective face à tout ce qui est royal. »

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