Le Journal de Montreal

LE 3e HOMME DANS LE RING

Ian John-Lewis va arbitrer le duel entre Adonis Stevenson et Badou Jack

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@quebecorme­dia.com

TORONTO | Je parlais au gentil monsieur et tout à coup ça m’est revenu. Après le septième round, au Centre Bell, c’était le combat entre Jean Pascal et Bernard Hopkins. Et là, au lieu de rester sur son banc, Hopkins s’était étendu sur le ring et avait entrepris de faire des pompes. Des push-ups.

Et je me rappelais le visage de l’arbitre, tout aussi éberlué que celui de Jean Pascal et des spectateur­s. C’était lui, Ian John-Lewis. L’arbitre du combat.

Il éclate de rire : « Quel coup pour jouer dans le mental de Pascal. J’étais aussi abasourdi que vous autres », raconte mon British tout heureux de se retrouver à Toronto pour officier entre Badou Jack et Adonis Stevenson.

Il reprend : « Avant le combat, comme on le fait tout le temps, j’étais allé dans le vestiaire des deux boxeurs pour leur faire part de mes instructio­ns. J’avais vu ce jeune homme de 28 ans, tout en muscles, fort, agile et puissant. Et l’autre, Hopkins, 46 ans, la masse musculaire diminuée aux bras et aux épaules de toute évidence même s’il était en super condition. Et je me disais, comment cet homme de 46 ans peut-il avoir une chance de battre ce jeune si fort ? »

Et là, dans le ring, il avait vu : « Hopkins connaissai­t tous les trucs du métier. Il ralentissa­it le combat, étirait les accrochage­s, pesait sur les bras de Pascal, ramenait l’affronteme­nt à son rythme, sur son terrain. Le reste, vous étiez là, vous l’avez vu », de raconter John-Lewis.

HEUREUX D’ÊTRE À TORONTO

L’homme de 56 ans vit à quelques centaines de kilomètres au sud de Londres. Il est témoin de l’essor fulgurant de la boxe dans son pays. Surtout avec le promoteur Eddie Hearns qui est en train d’investir un milliard dans l’industrie avec un partenaire du web.

Mais il est particuliè­rement heureux d’avoir été choisi par la WBC pour venir arbitrer le combat entre Jack et Stevenson : « C’est un plaisir et un honneur. J’aime me retrouver impliqué dans un grand combat. Et Badou Jack contre Stevenson, ça peut être un grand combat. J’adore mon travail et j’aime que les boxeurs puissent s’exprimer et se battre sans que j’aie à intervenir constammen­t. Quelques ordres secs, entrer et sortir rapidement pour ne pas briser le rythme des boxeurs, c’est la façon de travailler des bons arbitres », dit-il.

La pression se fait de plus en plus lourde sur les arbitres. Les caméras de télévision sont omniprésen­tes et la sécurité des athlètes a pris une importance réelle au cours des dernières décennies. Il rejoint son collègue Michael Griffin sur ce sujet. Vaut mieux intervenir trop vite que trop tard. Mais ça demande une très grande confiance en soi : « Je connais Michael Griffin. C’est toute une personnali­té », dit-il en parlant du Montréalai­s.

REMERCIEME­NTS DE BELLEW

D’ailleurs, John-Lewis comme Michael Griffin font partie d’une élite respectée par les boxeurs.

Vous vous rappelez le combat entre Tony Bellew et Adonis Stevenson. Au sixième round, Bellew était encore debout, mais il venait de se faire connecter solidement par la patte gauche de Stevenson. En deux ou trois secondes, avant même qu’il ne tombe, Griffin avait bondi entre les deux hommes pour arrêter le combat. Il avait même placé son corps devant Bellew pour le protéger.

Un jour, deux ou trois ans plus tard, en jasant avec Griffin au Honey Martin, son bar de Westmount, un chaleureux pub aussi irlandais que son propriétai­re, il m’avait montré avec une profonde émotion une déclaratio­n de Tony Bellew faite dans la semaine à un journalist­e britanniqu­e : « Je serai toujours éternellem­ent reconnaiss­ant à l’arbitre qui a arrêté le combat contre Adonis Stevenson. Ce soir-là, Michael Griffin a sans doute sauvé ma carrière et ma vie. »

C’est le salaire que ces arbitres ne reçoivent pas. La reconnaiss­ance. Et le sentiment profond d’accomplir un travail vital dans un sport qui peut provoquer la mort s’il n’est pas correcteme­nt encadré : « Et puis, il ne faut jamais oublier que nous avons toujours le meilleur siège dans la bâtisse. J’adore la boxe et je suis toujours excité dans les heures qui précèdent un gros match », reprend d’ailleurs John-Lewis.

Ce soir, si vous avez le temps entre deux échanges dans le ring, surveillez comment va travailler Ian John-Lewis. À une dizaine de pieds, en se déplaçant autour de l’action pour ne rien rater tout en ne nuisant pas aux deux combattant­s. Il va ressembler à un fauve, prêt à bondir en une demi-seconde s’il sent qu’un des deux hommes est en danger d’encaisser un coup de trop.

L’arbitre est le seul garant de cette sécurité. Parce que le docteur ou même le commissair­e ne peuvent intervenir pour arrêter une bataille.

-Et après une chute au plancher, comment faites-vous pour prendre la décision de laisser continuer un boxeur ?

-Il n’y a qu’un moyen. Le regarder dans les yeux. Chercher la clarté…

Une lueur qui sépare de l’hôpital ou de la morgue…

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PHOTO D’ARCHIVES L’arbitre Ian John-Lewis n’oubliera pas de sitôt le moment où Bernard Hopkins avait fait des pompes devant lui après le septième round de son combat contre Jean Pascal.

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