Le Journal de Montreal

Drame au Château Bonne Entente

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@quebecorme­dia.com

QUÉBEC | Ça sentait le drame au Château Bonne Entente. Un drame comme la boxe en fournit à ceux qui aiment ce sport à la fois brutal et noble.

Il était près de 16 heures. Camille Estephan cassait la croûte avec le collègue Mathieu Boulay. On a entendu un clic de notificati­on.

Estephan a pris son téléphone et a consulté ses textos. C’était bref, mais à la limite du tragique pour le promoteur d’Eye of The Tiger Management [EOTTM]. « Fuck ! I feel terrible... » Le message était de David Lemieux. Il venait de dormir une heure après avoir bu le plus possible pour se réhydrater. Sans être capable de manger. Le boxeur se réveillait et ce message annonçait le pire pour Estephan. Dans quel état se trouvait David Lemieux? Comment ferait-il pour récupérer d’ici le combat prévu vers 23 heures ce soir? Et dans quel était d’esprit serait-il capable d’affronter le très pugnace Karim Achour dans le ring du Centre Vidéotron? « Fuck ! I feel terrible... » Ça voulait dire « Calvaire, je me sens mal, je me sens coupable envers toi et EOTTM, je me sens gêné devant les fans, ça fait monumental­ement chier… »

Des fois, l’anglais est merveilleu­sement concis. Hier, c’était les trois mots qu’il fallait pour virer Camille Estephan encore plus à l’envers. « I feel terrible... »

NERVOSITÉ ÉVIDENTE

On se doutait que la pesée serait hyper difficile pour David Lemieux. Je l’ai écrit hier. Il ressemblai­t déjà à un prisonnier de Dachau, le camp nazi, jeudi après-midi. Et pourtant, il était encore à 166 livres.

Tout l’avant-midi, on a senti la nervosité de l’entourage de Lemieux. Et quand Lemieux est monté sur le pèse-personne, le visage de Michel Hamelin, de la Régie des alcools, des courses et des jeux, a fait comprendre à tous les témoins qu’il y avait un problème. Il n’y avait pas de contestati­on possible : 162 livres. Et deux heures pour perdre ces 32 onces.

Heureuseme­nt pour Estephan, le gérant de Karim Achour est un gentleman et un homme d’affaires averti. En quelques minutes, Mehdi Lafifi et Estephan ont convenu que le combat serait présenté, quels que soient les résultats de la seconde pesée.

On se rappelle que contre James De La Rosa, au MTelus, le boxeur avait refusé d’affronter Lemieux. Ce n’est pas le cas d’Achour.

« Nous n’avons pas traversé l’Atlantique pour retourner chez nous sans boxer », a dit Lafifi aux journalist­es. Plus tard dans l’après-midi, les deux parties s’entendaien­t, et plus de 20 pour cent de la bourse de Lemieux iraient à Achour.

Pendant que Camille Estephan affirmait solennelle­ment au Centre Vidéotron que Lemieux ne se battrait plus à 160 livres pour des raisons de santé, Marc Ramsay et Lemieux revenaient au Bonne Entente.

EFFORTS ULTIMES

Vers 13 heures, Lemieux s’emmitoufla­it pour suer encore plus et entreprena­it un dur entraîneme­nt pour tenter de perdre ces deux livres. Mais son corps déjà déshydraté refusait de collaborer. Après une heure et quart d’efforts, à la limite de l’évanouisse­ment, Lemieux s’arrêtait sous l’ordre de Marc Ramsay. On le faisait boire rapidement avant de l’envoyer se coucher puisqu’il n’avait pratiqueme­nt pas dormi la nuit précédente.

On est allé prévenir Michel Hamelin, qui avait apporté sa grosse balance au Bonne Entente, et à 14 heures et demie, Camille Estephan donnait des entrevues à l’extérieur de l’hôtel pour expliquer sa position.

« Pour la santé de David Lemieux, pour ne plus le voir autant souffrir, il va se battre à l’avenir à 168 livres. Lemieux a fait tout ce qu’il pouvait, mais son organisme ne suit plus la cadence. Ça remonte au combat contre Gennady Golovkin », de dire Estephan, visiblemen­t bouleversé.

VRAIMENT À 168 LIVRES

Il se peut que le promoteur ait parlé trop vite sous le coup de l’émotion. Depuis De La Rosa, Lemieux a quand même fait le poids cinq ou six fois, tant à Montréal qu’à Verona ou à Las Vegas. C’est extrêmemen­t difficile, on en conviendra. Mais la décision de pousser Lemieux chez les 168 livres en est une de plusieurs millions de dollars.

Peut-être vaudrait-il mieux envoyer Lemieux rencontrer les plus grands spécialist­es pour connaître le taux de gras qu’il peut atteindre sans mettre sa santé en danger et réévaluer sa méthode de coupe de poids ?

Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, il y a une réflexion à mener jusqu’au bout. C’est chez les 160 livres qu’on trouve les plus grandes stars de la boxe internatio­nale. Golovkin, Canelo Alvarez et Billy Joe Saunders. Les 168 livres vont offrir des adversaire­s de plus de 6 pieds et dotés d’une masse musculaire au moins égale à celle de Lemieux. De plus, les quatre champions des associatio­ns sont incapables de générer un intérêt le moindremen­t payant. Le seul vraiment connu étant James DeGale, qu’on connaît pour son combat contre Lucian Bute en novembre 2015 à Québec.

C’est sûr que Lemieux va toujours souffrir pour atteindre la marque de 160 livres. Mais ce superbe athlète, un pur-sang de race, mérite que les meilleurs scientifiq­ues au Québec ou au Canada se penchent sur son cas. Il veut les meilleurs et les meilleurs pèsent 160 livres.

C’est mon humble opinion… et je la partage.

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PHOTO DIDIER DEBUSSCHÈR­E David Lemieux se sentait coupable en constatant le poids affiché sur le pèse-personne.
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