Le Journal de Montreal

La Turquie, un allié à la dérive

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La Turquie figure rarement sur nos radars, sauf pour ceux et celles qui ont la chance d’y passer des vacances et qui en reviennent généraleme­nt enchantés. Pourtant, le pays est une puissance économique et militaire. À cheval sur le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est, ses états d’âme affectent la stabilité de deux sous-continents. Ça tombe mal ces jours-ci, son président flirte avec la dictature.

Le 24 juin prochain, on marquera aussi le coup en Turquie, mais tout le monde ne sera pas de la fête. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a décrété des élections anticipées pour ce jour-là, près d’un an et demi avant l’échéance normale. En soi, rien ne presse, sauf l’envie dévorante d’Erdogan de mettre la main sur les pouvoirs accrus que lui garantisse­nt les amendement­s à la Constituti­on adoptés par référendum en 2017.

Après le scrutin de juin, s’il l’emporte, il en aura fini du premier ministre, les ministres ne répondront qu’à lui et il aura quasi pleine liberté pour nommer les juges des plus hauts tribunaux du pays. Plus tôt cette semaine, c’est l’autonomie de la Banque centrale qu’il a menacée, en promettant à l’agence Bloomberg qu’il allait s’impliquer davantage dans les décisions sur la politique monétaire après sa réélection. Rien de rassurant.

Il n’y a qu’à voir la razzia qu’il a faite chez ses opposants, réels et supposés, après la tentative de coup d’État de juillet 2016 : plus de 50 000 personnes ont été arrêtées, dont 7500 militaires. Dans les agences de l’État, l’administra­tion publique, les écoles, les médias, plus de 140 000 personnes ont été suspendues ou simplement mises à pied. Imaginez le même homme avec plus de pouvoirs encore !

LES KURDES, BOUC ÉMISSAIRE FACILE

Erdogan ne se gêne pas non plus pour titiller la fibre patriotiqu­e. Le pays, sauf pour sa grande minorité kurde, vibrait intensémen­t au cours des trois premiers mois de l’année à suivre l’opération militaire « Rameau d’olivier » contre les combattant­s kurdes dans le nord-ouest de la Syrie. Le triomphe est venu à la mi-mars avec la prise de la ville d’Afrin. Rien pour rallier son électorat comme d’agiter les armes et drapeaux jetés par les ennemis vaincus.

Le président turc doit toutefois souhaiter que les quatre prochaines semaines passent en coup de vent. Ses troupes dans le nord de la Syrie comptaient poursuivre leur chasse aux Kurdes vers l’ouest du pays, mais ont brusquemen­t stoppé leur marche vers Manbij. Les 2000 soldats américains dans la région ont appris à apprécier l’efficacité des combattant­s kurdes – que les Turcs considèren­t être des terroriste­s – dans les violentes batailles livrées contre les extrémiste­s de l’État islamique.

ELLE TOMBE, ELLE TOMBE, LA LIRE

Poussez la haine du Kurde jusqu’à provoquer des affronteme­nts avec les Américains… entre alliés au sein de l’OTAN… même un populiste comme Erdogan a compris que le prix à payer était trop élevé. Parlant d’argent, l’état de l’économie turque donne aussi des sueurs au sultan d’Ankara.

La valeur de la lire, la monnaie turque, dégringole depuis le début de l’année : près de 25 % de baisse par rapport au dollar américain. L’inflation, elle, c’est dans l’autre sens qu’elle s’envole : à quelques centièmes de point de 11 % en avril. Essoufflan­t pour les consommate­urs !

Impossible de prendre la Turquie à la légère : elle est un gros joueur régional, un allié du Canada au sein de l’OTAN et un phare pour de plus petits régimes au Moyen-Orient. Avec sa poigne de fer et ses atteintes aux libertés individuel­les, le président Erdogan risque d’encourager de bien mauvais réflexes tout autour de lui.

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