Le Journal de Montreal

L’Amérique mondiale

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Blogueur au Journal Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com @mbockcote

Tous en conviennen­t, le tweet de Roseanne Barr qui a fait la manchette ces derniers jours était raciste, abject et minable. Elle comparait Valerie Jarrett, une ancienne conseillèr­e noire de Barack Obama, à une guenon. Elle en paie le prix et disparaîtr­a probableme­nt de la carte médiatique pour de bon. En moins d’une journée, son sort était réglé, à la face de l’Amérique.

Qu’on me permette néanmoins de poser une question toute simple : pourquoi avons-nous entendu parler de cette histoire chez nous, comme si elle nous concernait intimement et directemen­t ?

Je veux bien croire que nous sommes à l’heure de la mondialisa­tion, et que nous sommes tous connectés d’une manière ou d’une autre, mais pourquoi les frasques d’une vedette de la télévision américaine, qui en plus n’a jamais vraiment trouvé d’écho culturel chez nous, trouvent-elles autant de place dans notre espace médiatique ?

COLONIALIS­ME

Je veux bien croire que certains chroniqueu­rs culturels snobinards et branchés n’en finissent plus de fantasmer sur l’Amérique hollywoodi­enne comme s’ils en étaient. Une partie de nos élites s’autocoloni­se mentalemen­t. Mais cette américanis­ation de notre actualité culturelle a quelque chose de terribleme­nt aliénant. La curiosité est chose merveilleu­se, et rien n’est plus beau qu’un esprit capable de se passionner pour autre chose que lui-même. Mais cette passion devient néfaste lorsqu’on se fond en l’autre au point de ne plus reconnaîtr­e ce qui nous distingue de lui.

Et on touche là le coeur de l’affaire. Si l’affaire Roseanne Barr suscite tant de passions chez les Américains, c’est que les États-Unis ont une histoire raciale toxique. Mais ce n’est pas le cas du Canada et du Québec. On trouve évidemment chez nous des racistes. On trouve même des zozos pour faire des blagues débiles sur les Noirs. Mais fondamenta­lement, notre société n’a pas connu la même trajectoir­e historique. Et s’il faut à tout prix le rappeler, ce sont les Québécois francophon­es qui, longtemps, ont subi la discrimina­tion, et cela, même s’ils étaient blancs. L’histoire est plus complexe que le pensent ceux qui la regardent avec une vision bicolore.

RACISME

Il n’y a rien ici qui ressemble aux rapports de pouvoir et d’exclusion qui ont caractéris­é et qui caractéris­ent encore, à certains égards, la société américaine. Ceux qui plaquent sur notre société une grille de lecture faite pour comprendre la réalité américaine déforment la réalité québécoise et la rendent incompréhe­nsible. Les militants qui brandissen­t ici l’étendard de l’antiracism­e habitent un fantasme morbide dans lequel ils veulent nous entraîner. Le Québec n’est pas un État américain, encore moins un État du sud.

Résumons simplement : notre histoire n’est pas celle des Américains, leurs problèmes ne sont pas les nôtres, et il n’y a pas de grandes leçons à tirer de notre côté de l’affaire Roseanne, sinon qu’il faut être aussi prudent avec Twitter qu’avec des allumettes et que toute personne installée devant son clavier devrait y penser à deux fois avant d’y écrire d’énormes conneries et autres saloperies.

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Roseanne Barr Valerie Jarrett
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